Une travailleuse sur trois subira de la violence conjugale au cours de sa vie. Pour la moitié des victimes, cette violence les suivra jusqu’en milieu de travail. Cette situation démontre l’importance d’agir syndicalement pour leur sécurité, mais aussi pour l’ensemble des personnels.
  • La négociation, un outil indispensable!

    Se mettre en action pour les victimes, pour nos membres, en négociant des clauses de conventions collectives qui visent à les soutenir, à les protéger et à sécuriser leur lien d’emploi est primordial. Les personnes qui subissent de la violence conjugale doivent savoir qu’elles peuvent compter sur un salaire si elles décident de mettre fin à leur relation. Il s’agit là d’un facteur-clé dans leur démarche.

    Rappelons que, lors du Congrès 2021, la CSQ et ses syndicats affiliés se sont engagés à agir afin de permettre aux femmes de vivre dans une société juste et sécuritaire. Négocier des clauses de conventions collectives représente une solution concrète qu’il faut revendiquer.

  • Quoi négocier?

    Sans diminuer l’importance de l’obtention de journées de congé rémunéré, la négociation en matière de violence conjugale dépasse ce genre de gain. Les demandes syndicales et les clauses de convention en la matière devraient toujours viser une protection optimale de l’ensemble des personnels. Pour ce faire, elles devraient comprendre les éléments ci-dessous.

    ⦁ La reconnaissance de la violence conjugale et de ses conséquences
    Le préambule de la clause devrait permettre de reconnaitre la violence conjugale ainsi que ses conséquences, tout en expliquant les objectifs qu’elle vise.

    ⦁ Des dispositions d’accommodements ou de diminution des facteurs de risques
    Puisque les accommodements peuvent varier selon les manifestations de la violence, cette clause doit permettre l’aménagement de mesures d’accommodements larges qui peuvent s’adapter selon les besoins des victimes. Il peut s’agir notamment d’une modification des horaires de travail, de l’emplacement du lieu de travail, du numéro de téléphone ou de l’adresse courriel de la victime.

    ⦁ L’absence de mesures disciplinaires
    Dans l’objectif de protéger le lien d’emploi, une clause de la convention collective doit mentionner qu’aucune mesure disciplinaire ne sera imposée à la victime de violence conjugale, et ce, même si la situation a une incidence sur son assiduité et son rendement au travail.

    ⦁ La confidentialité des dossiers
    Les informations en ce qui concerne la personne qui vit de la violence conjugale doivent demeurer confidentielles. La création d’un dossier distinct pour tout ce qui vise les mesures mises en place à propos de la situation s’avère un moyen proposé pour permettre cette confidentialité.

    ⦁ Des congés payés et sans solde
    Ces congés doivent s’appliquer précisément pour les victimes de violence conjugale et être en sus de ce qui est déjà prévu à la convention collective. Actuellement, une demande est présentée afin que la Loi sur les normes du travail (LNT) accorde aux victimes 10 jours de congé payé. Ces dernières doivent conserver leur ancienneté et tout autre avantage (régime de retraite, assurance collective, etc.) lorsqu’elles s’absentent pour ces motifs.

    ⦁ La non-exigence d’une preuve de la violence vécue
    Certaines clauses de conventions collectives exigent que la victime fournisse une preuve de la violence conjugale subie pour obtenir des journées de congé payé. Cependant, comme les démarches pour quitter un milieu violent peuvent être longues, imposer l’ajout d’une preuve peut devenir l’obstacle de trop qui amène la victime à changer d’idée.

    Dans l’éventualité où la preuve serait nécessaire, il importe que celle-ci puisse provenir de diverses sources, notamment du personnel d’une maison d’hébergement, d’un refuge pour femmes ou d’un centre de crise.

    ⦁ Des références vers les ressources et les organismes d’aide spécialisés et des dispositions pour en faciliter l’accès
    Les ressources externes d’aide, comme les maisons d’hébergement, SOS violence conjugale et les services psychosociaux, demeurent les spécialistes en matière d’intervention et d’accompagnement liés aux enjeux de violence conjugale. Ces ressources sont et resteront les spécialistes à qui l’on doit se référer et que l’on doit recommander aux victimes.

    Lors des négociations, il importe de faire reconnaitre la nécessité de ces ressources et de ces organismes, et la pertinence de s’y associer afin de ne pas agir au-delà de nos champs de compétence, et ce, dans l’intérêt de la victime et de l’ensemble des personnels.

    Pour faciliter l’accès à ces ressources, la convention collective peut prévoir qu’un local soit mis à la disposition de la victime pour tenir des rencontres ou pour communiquer (virtuellement ou par téléphone) avec des personnes intervenantes et aussi prévoir que ces rendez-vous se tiennent sur le temps de travail de la victime.

    ⦁ Un programme d’information et de sensibilisation (formations et ateliers)
    Des formations ou des ateliers offerts par l’employeur sur le temps de travail du personnel peuvent être des éléments à prévoir dans la convention collective. Ils permettront de sensibiliser le personnel aux enjeux de la violence conjugale afin qu’il demeure alerte aux signaux.

  • Arguments de négociation

    La violence conjugale coute cher aux employeurs. Ce cout est d’ailleurs estimé à plus de 77,9 millions de dollars par an au Canada. Selon le Conference Board du Canada, 71 % des employeurs disent avoir fait face à une situation de violence conjugale dans leur milieu où ils ont dû protéger une victime.

    De plus, pour ce qui est de l’ensemble des personnels, les manifestations de violence conjugale en milieu de travail entrainent des répercussions, et ce, autant sur les victimes et les agresseurs que sur les collègues de travail.

  • Protections provinciales et fédérales

    Les provinces canadiennes n’offrent pas toutes la même protection en matière de violence conjugale.

    Le Québec n’étant pas chef de file en la matière, les protections offertes ailleurs au Canada peuvent soutenir la négociation avec l’employeur, surtout en ce qui a trait aux journées de congé avec ou sans solde.

    Comparaison des lois sur la violence conjugale au Canada

  • Le Yukon et la Nouvelle-Zélande

    Au moment de négocier, il est intéressant de faire reposer vos arguments sur des cas concrets et sur des mesures prises ailleurs.

    ⦁ Au Yukon
    Les actions syndicales ont permis aux victimes d’accéder à des protections malgré l’absence de journées de congé payé ou sans solde dans les lois. Effectivement, l’Association des professionnels de l’éducation du Yukon a négocié des congés spéciaux que les travailleuses et travailleurs peuvent prendre pour des raisons liées à la violence conjugale.

    « Un ou une membre du personnel qui est victime de violence familiale* a droit à un congé spécial d’au plus cinq (5) jours d’enseignement par année scolaire. Le congé peut être prolongé à la discrétion du surintendant ou de la surintendante ou de son délégué ou [de] sa déléguée. »

    * Pour certains pays, le terme de violence familiale est utilisé pour traiter de violence conjugale. Au Québec, le terme de violence conjugale est celui utilisé plus largement, auquel on tente d’annexer les termes de violence familiale et de violence intime afin de tenir compte des enjeux liés spécifiquement aux réalités vécues par les femmes autochtones (et les familles autochtones).

    ⦁ En Nouvelle-Zélande
    La Nouvelle-Zélande se démarque par ses pratiques en matière de violence conjugale, qui prévoient différentes options.

    Les personnes employées touchées par la violence familiale ont le droit :

    ⦁ De prendre jusqu’à 10 jours de congé payé en cas de violence familiale, mais les employeurs peuvent accorder plus que les 10 jours requis par la loi;

    ⦁ De demander des modalités de travail flexibles à court terme (jusqu’à 2 mois);

    ⦁ D’exiger de ne pas être traitées injustement en milieu de travail parce qu’elles pourraient avoir été victimes de violence familiale. Dans le cas contraire, cela peut être reconnu comme de la discrimination.

    Les personnes employées qui ont été touchées par la violence familiale peuvent prendre un congé payé en cas de violence familiale si :

    ⦁ Elles ont actuellement 6 mois d’emploi continus auprès du même employeur ou si elles ont travaillé pour l’employeur pendant 6 mois. Elles doivent cependant travailler ou avoir travaillé en moyenne 10 heures par semaine, et au moins 1 heure chaque semaine ou 40 heures chaque mois.

    Si une personne employée prend un congé en cas de violence familiale ou demande des modalités de travail flexibles à court terme, son employeur peut demander une preuve de cette situation.

    Les victimes peuvent s’adresser à Employment New Zealand ou à la Commission des droits de l’homme si elles ont de la difficulté à faire respecter leurs droits en matière de violence familiale.

  • Clauses modèles

    Afin de faciliter la rédaction de clauses visant à protéger l’ensemble des personnels en matière de violence conjugale, un exemple type, reproduit ci-dessous, a été élaboré par le Service des négociations et des relations du travail de la CSQ :

    Les parties reconnaissent qu’une personne salariée peut vivre de la violence conjugale, ce qui peut affecter son rendement général au travail. Lorsque l’employeur est informé qu’une personne salariée vit de la violence conjugale, il convient qu’aucune mesure disciplinaire ou administrative ne sera imposée à ladite personne salariée s’il est possible d’établir un lien entre son rendement au travail, ses absences et la violence vécue.

    Par ailleurs, il collabore avec la personne vivant de la violence conjugale afin de l’aider dans cette épreuve. D’un commun accord, cette aide peut notamment prendre les formes suivantes :

    ⦁ Protection au travail (évaluation des risques, modification de l’adresse courriel, du numéro de poste ou de l’emplacement physique du bureau, retrait du nom du site Web ou de la liste des employés, sensibilisation des collègues, début ou fin du télétravail, etc.);
    ⦁ Aménagement ou réduction des heures de travail;
    ⦁ Consultation de ressources sur le temps et sur les lieux du travail;
    ⦁ Toutes autres mesures ou tous autres moyens visant à protéger et à soutenir la personne vivant cette violence.

    De plus, une personne salariée vivant de la violence conjugale a droit, lorsqu’elle en informe l’employeur, à un nombre de X jours de congé sans perte de traitement afin de rencontrer une personne-ressource, une professionnelle ou un professionnel de la santé, une avocate ou un avocat ainsi que de préparer son départ ou de mener toute autre tâche liée à la situation

    L’ensemble des informations relatif au besoin d’une personne vivant de la violence sera conservé dans un dossier distinct afin d’assurer la confidentialité de ces renseignements.

  • Clauses déjà négociées

    En 2020, 101 conventions collectives québécoises contenaient des clauses allant au-delà des normes minimales prévues à la LNT. Une sélection des clauses existantes sont présentées ici. D’autres exemples sont disponibles dans le rapport de la Direction de la recherche et de l’innovation en milieu de travail.

    ⦁ Convention collective de Cheval Québec (CSQ)

    Clause 5-3.09 : Congés pour victime de violence conjugale

    Lorsque l’Employeur est informé qu’un Salarié est victime de violence conjugale, il collabore avec la victime afin de l’aider dans cette épreuve et prend les moyens raisonnables afin d’assurer sa protection au travail;L’Employeur et le Salarié peuvent notamment convenir de changer son adresse courriel, son numéro de poste, l’emplacement physique de son bureau, d’enlever son nom du site web ou de la liste des Salariés et de tous autres moyens jugés utiles.

    De plus, un Salarié victime de violence conjugale, lorsqu’il en informe l’Employeur, a droit à trois (3) jours d’absence sans perte de traitement afin de rencontrer un professionnel de la santé, un avocat ou de préparer son départ. Afin de bénéficier des trois jours d’absence sans perte de traitement, le Salarié doit avoir écoulé sa banque de congés de maladie et de motifs personnels. L’Employeur peut demander au Salarié une pièce justificative en lien avec les trois (3) journées d’absence.

    ⦁ Les Ballets Jazz de Montréal et l’Alliance internationale des employés de scène et de cinéma, section locale 55**

    L’employeur reconnait que les employées peuvent connaitre dans leur vie personnelle des situations de violence ou d’abus pouvant affecter leur assiduité et leur performance au travail. Les travailleuses qui sont victimes de violence familiale auront droit à cinq (5) jours d’absences rémunérés afin de leur permettre de se présenter à des rendez-vous médicaux, des procédures légales et toutes autres activités nécessaires pour traiter leur situation de façon appropriée.

    Ces absences s’ajoutent aux autres congés déjà accordés et elles peuvent être prises en journées consécutives, en une seule journée, ou en fraction d’une journée, et ce, sans autorisation préalable. Si une prolongation au-delà de cinq jours est requise, elle ne sera pas rémunérée et l’employeur ne pourra déraisonnablement la refuser.

    ** DQ-2018-2105, article 3 de l’entente pour les contrats roses canadiens 2016.

    ⦁ Technologies Axion Ltée et UNIFOR, section locale 720***

    L’employeur reconnait que les salariés font parfois face à des actes de violence ou d’abus dans leur vie personnelle et que ces derniers peuvent avoir des répercussions négatives sur leur présence ou leur rendement au travail.

    C’est pourquoi l’employeur et le syndicat acceptent, sur confirmation d’un professionnel reconnu (par exemple : médecin, avocat, conseiller autorisé, etc.), qu’un salarié se trouvant dans une telle situation violente ne fasse l’objet d’aucune mesure disciplinaire ou administrative, si un lien peut être établi entre son rendement au travail ou son absence du travail et la situation violente dans laquelle il se trouve.

    Les absences ne relevant pas de congés de maladie ou de l’assurance invalidité sont classées comme des congés autorisés, tant et aussi longtemps que le salarié démontre qu’il est en démarche active pour se sortir de la situation de violence dans laquelle il se trouve.

    *** DQ-2017-7586, article 22.12.

    ⦁ Syndicat des Métallos, section locale 2009, et Kwantlen University Public Interest Research Group (Colombie-Britannique)

    16,5, 1 Au cours de chaque année civile, l’Employeur accordera à chaque employé/e un congé payé en cas de violence conjugale/familiale, sans perte d’ancienneté, pendant une période maximale de douze (12) semaines. L’employé/e a droit jusqu’à trois (3) mois de congé sans solde.

    16,5, 2 L’employé/e et l’Employeur divulgueront des informations pertinentes « en cas de nécessité absolue » seulement afin de protéger la confidentialité, tout en assurant la sécurité dans le lieu de travail.

    16,5, 4 L’Employeur veillera à assurer des services de consultation et d’orientation vers des soutiens appropriés.

    16,5, 5 L’Employeur fournira une formation appropriée et accordera un congé payé aux personnes qui assument des rôles de soutien désignés (notamment aux représentant/e/s en santé et sécurité du syndicat).

    16,5, 6 L’Employeur offrira des conditions de travail flexibles, des avances sur salaire et d’autres accommodements aux employés victimes de violence familiale/conjugale.

    16,5, 7 L’Employeur protégera les employés contre toute action répréhensible ou discrimination fondée sur la dénonciation, l’expérience ou l’expérience perçue de violence familiale/conjugale.

  • Clauses types

    ⦁ Clauses modèles proposées par le Syndicat des Métallos

    Article XX – Congé pour violence conjugale/familiale ;

    XX. L’employeur reconnait que les personnes employées font parfois face à des situations de violence ou de mauvais traitements dans leur vie personnelle, lesquelles peuvent affecter leur présence ou leur rendement au travail, et qu’il doit prendre des mesures d’accommodement.

    XX. Compte tenu de ce qui précède, l’employeur convient d’accorder à chaque personne employée un congé payé en cas de violence conjugale/familiale, sans perte d’ancienneté, pendant une période maximale de douze (12) semaines. En plus du congé de douze (12) semaines, la personne employée a aussi droit à un congé sans solde de trois (3) mois au maximum. […]

    XX. Lorsqu’une personne employée informe l’employeur qu’il/elle est aux prises avec de la violence conjugale/familiale :

    a) s’il y a lieu, l’employeur, conjointement avec le comité de santé et de sécurité, met en œuvre des stratégies visant à assurer la sécurité au travail, y compris l’évaluation des risques, des plans de sécurité, de la formation et un processus efficace et opportun de résolution des préoccupations. Afin de protéger la confidentialité de la personne employée et d’assurer la sécurité du lieu de travail, l’employeur divulgue des informations pertinentes dans le lieu de travail « en cas de besoin » seulement et uniquement dans la mesure autorisée par la législation en vigueur;

    b) l’employeur veille à fournir à la personne employée des conseils et une orientation vers des services de soutien appropriés;

    c) l’employeur dispense une formation appropriée et accorde un congé payé aux personnes désignées pour assumer des rôles de soutien (notamment aux représentants syndicaux de la santé et de la sécurité);

    d) l’employeur offre des conditions de travail flexibles, des avances sur salaire et d’autres accommodements aux personnes employées victimes de violence conjugale/familiale;

    e) l’employeur protège les personnes employées contre toute action nuisible ou discriminatoire fondée sur la dénonciation, l’expérience ou l’expérience perçue de violence conjugale/familiale.

    ⦁ Clauses modèles proposées par le Congrès du travail du Canada (CTC)

    En matière de congés payés :

    XX. L’employeur reconnait que les personnes employées font parfois face à des situations de violence ou de mauvais traitements dans leur vie personnelle, qui peuvent affecter leur présence ou leur rendement au travail.

    Les travailleuses qui subissent de la violence conjugale auront (x) jours de congé payé pour se présenter à des rendez-vous médicaux, des procédures judiciaires ou toute autre activité nécessaire. Ce congé s’ajoute aux autres congés prévus et peut être pris de façon consécutive, à la journée ou fraction d’une journée, et ce, sans autorisation préalable.

    En matière de confidentialité :

    XX. Toute information personnelle liée à un cas de violence conjugale sera traitée de manière strictement confidentielle conformément aux lois applicables. Aucune information ne sera conservée dans le dossier d’une employée sans son autorisation écrite expresse.
    En matière de protection contre les mesures et sanctions disciplinaires :

    XX. L’employeur convient qu’une employée ne sera pas sujette à des mesures défavorables si sa présence ou son rendement au travail est affecté parce qu’elle subit de la violence conjugale.

    En matière d’accommodement des victimes :

    XX. L’employeur approuvera toute demande raisonnable provenant d’une employée victime de violence conjugale pour ce qui suit :

    ⦁ Modifications à son horaire ou de son cycle de travail;
    ⦁ Restructuration de son emploi, modifications à ses tâches ou réduction de sa charge de travail;
    ⦁ Transfert de son emploi vers un autre emplacement ou service;
    ⦁ Modification de son numéro de téléphone et de son adresse de courriel ou filtrage des appels afin d’éviter tout harcèlement; et
    ⦁ Toute autre mesure appropriée, y compris celles disponibles en vertu des clauses actuelles concernant les modalités de travail souples et favorables à la famille.