Opinions, Travail

Un minimum de 18 $ l’heure pour sortir de la pauvreté

12 octobre 2021

Depuis environ cinq ans, nos organisations revendiquent que le salaire minimum soit porté à 15 $ l’heure. Bien que cet objectif n’ait pas encore été atteint, il est clair que les campagnes qui ont porté cette revendication ont contribué à défaire de nombreux préjugés et à justifier une accélération des augmentations du salaire minimum. L’objectif du salaire minimum étant de permettre à une personne qui travaille à temps plein de sortir de la pauvreté, quelques années plus tard, notre revendication du taux horaire de 15 $ n’est plus suffisante. Les analyses confirment que, pour sortir de la pauvreté, il faudrait à une travailleuse ou à un travailleur un salaire horaire établi à près de 18 $. C’est sur cette base que nos organisations appuient cette nouvelle revendication ou consultent leurs membres sur la question.

Les opposants nous répéteront qu’un salaire minimum aussi élevé ferait perdre des centaines de milliers d’emplois et que, par cela, notre demande causerait un tort aux personnes que l’on prétend vouloir aider. Or, cette menace de pertes d’emplois ne tient aucunement la route. D’abord, parce que les études empiriques récentes ont démontré l’absence de corrélation entre ces deux facteurs. Ensuite, parce que, dans le contexte actuel, la préoccupation n’est plus de sauver des emplois dans les secteurs à bas salaire, mais plutôt de pourvoir les nombreux postes vacants qui sont la base de la « pénurie de main-d’œuvre ». En tout temps, une personne travaillant à temps plein devrait pouvoir vivre décemment. Dans le contexte actuel, il n’y a plus d’excuses pour refuser à plusieurs centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs un salaire qui leur permettrait de sortir de la pauvreté.

Le Québec, avec ses 221 000 postes vacants, bat des records. Selon Statistique Canada, en juillet dernier, 5,7 % des postes disponibles restaient à combler, nous plaçant au-dessus de la moyenne canadienne (4,8 %) et de celle d’avant la pandémie (3,4 %). Dans l’hébergement et la restauration, un secteur avec une majorité d’emplois touchés par le salaire minimum, le taux de postes vacants est de 11 %, soit le double de la moyenne québécoise! Certains justifieront ce retard en invoquant le décalage entre les besoins de main-d’œuvre et des qualifications, la réduction de la population active, les programmes d’aide gouvernementaux, les « caprices des milléniaux », mais il faudra un jour admettre que les salaires offerts dans ces secteurs ne permettent pas de vivre décemment.

Rappelons que l’objectif historique du salaire minimum est de garantir à une personne qui travaille à temps plein de s’élever au-dessus de la pauvreté. Pour sortir de la pauvreté, il faut plus que couvrir ses besoins de base, il faut avoir une marge de manœuvre qui permet de faire quelques choix et, surtout, pouvoir traverser certains imprévus sans hypothéquer le reste (par exemple, réparer un réfrigérateur sans couper l’épicerie).

La Mesure de faible revenu 60 %, qui est utilisée dans les comparaisons internationales, constitue un guide utile aux analystes qui cherchent à déterminer le seuil de sortie de pauvreté. En 2021, cette mesure identifiait un revenu disponible nécessaire de près de 28 000 $ pour une personne seule. À 35 heures par semaine, ce niveau de revenu nécessite un taux horaire avoisinant 18 $.

Dans le contexte actuel du marché du travail, la priorité dédiée à la création d’emplois à tout prix, qui guidait jadis les interventions publiques, doit être modifiée. Avec une main-d’œuvre qui se fait rare, nous devons nous préoccuper prioritairement de la qualité et de l’utilité des emplois existants. Si le salaire n’est qu’un des nombreux critères déterminant la qualité des emplois, il faut néanmoins admettre que l’objectif de sortir de la pauvreté est une première étape essentielle.

Signataires :

Daniel Boyer, président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)
Caroline Sennville, présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN)
Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ)
Luc Vachon, président de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD)
Line Lamarre, présidente du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ)
Christian Daigle, président du syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ)
Mélanie Gauvin, Front de défense des non-syndiquéEs (FDNS)
Virginie Larivière, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté