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Tête-à-tête avec Éric Gingras, président de la CSQ : les leçons à tirer du passé pour relever les défis à venir

22 août 2025

« Ce dont je suis le plus fier, c’est le retour du nous chez les travailleuses et les travailleurs! »

Propos recueillis par Léanne Fiset-Gingras et Laurianne Veilleux

Dans ce troisième et dernier article, le président de la CSQ, Éric Gingras, répond à des questions plus personnelles et fait le point sur ses quatre années à la tête de la Centrale. Il nous livre également son analyse de ce qui nous attend au cours de l’année à venir, dans le contexte d’une élection générale au Québec, qui approche à grands pas.

« Ce dont je suis le plus fier, c’est le retour du nous, chez les travailleuses et les travailleurs, auquel nous avons assisté durant les dernières négociations en front commun. Ça faisait 20 ans qu’on n’avait pas vu ça : des personnes syndiquées qui s’élevaient au-dessus de leur propre catégorie d’emploi, pour revendiquer des améliorations dans l’intérêt commun de toutes et tous. », Éric Gingras, président de la CSQ.

CONTEXTE POLITIQUE ET ÉLECTIONS

Au Québec, l’année politique à venir s’annonce particulièrement chargée. Traditionnellement, la Centrale évite de prendre publiquement position en faveur ou contre des partis engagés dans la joute électorale. La CSQ prévoit-elle, cette fois-ci, adopter une approche différente à l’égard de la campagne électorale?

Nous sommes toujours à l’étape de définir notre stratégie pour les mois à venir. Est‑ce que nous allons y prendre part? La réponse est oui, certainement. Nous allons mettre en lumière les plateformes des différents partis et travailler afin de les amener à prendre position publiquement sur les enjeux qui touchent les travailleuses et les travailleurs du secteur public, particulièrement en éducation et en santé.

Au Québec comme ailleurs, les idées de droite gagnent en popularité et les discours décomplexés se multiplient, notamment auprès des jeunes et chez certains chroniqueurs qui remettent en question le rôle des centrales syndicales. Dans ce contexte, comment vois-tu l’avenir des organisations syndicales?

C’était le thème de notre 44e congrès, l’été dernier : la confiance envers nos institutions. Dans ce contexte, nous n’avons pas d’autres choix que de favoriser nos liens au Québec et au Canada, mais également ailleurs dans le monde. Notre réponse à cette montée de la droite, ce sont nos alliances. Ce sont elles qui nous permettent d’aller à contre-courant de l’individualisme en mobilisant nos forces ensemble. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les organisations syndicales ont décidé de tenir, sous le thème L’union fait l’avenir!, de grands états généraux sur le syndicalisme qui se déroulent en 2025-2026. L’idée est d’oublier nos différences pour se concentrer sur ce qui nous unit et renouveler ainsi notre discours commun. Ensemble, nous voulons répondre d’une voix forte au courant individualiste en lui opposant une vraie solidarité qui bénéficie à toutes et tous.

REGARD SUR LES DERNIÈRES ANNÉES

Éric, tu es arrivé à la CSQ avec la volonté d’une nouvelle approche syndicale, privilégiant le recours au dialogue social avec le gouvernement plutôt que la confrontation. Quatre ans plus tard, quel bilan fais-tu de cette approche?

De prime abord, force est de constater que, pour qu’il y ait un dialogue, il faut qu’il y ait une volonté de part et d’autre de discuter. Ce qui n’a malheureusement pas toujours été le cas avec le gouvernement en place.

Cependant, je demeure convaincu que l’appel au dialogue social est la voie qu’il faut continuer de privilégier. Le ton que l’on prend est très important. Plusieurs de nos membres nous ont d’ailleurs fait part de leur satisfaction quant à notre façon de travailler. Ils apprécient cette forme de syndicalisme qui avance des solutions concrètes au gouvernement plutôt que d’être continuellement en opposition systématique. Toutefois, être présent et bien vulgariser les enjeux n’empêche pas, à l’occasion si nécessaire, d’être virulent et d’énoncer fermement ce dont on a besoin. C’est comme ça qu’on reste crédible dans l’espace public et ça, j’y crois encore beaucoup.

Le dialogue social implique également de coopérer avec des représentants de tous les partis politiques. Mais ce dialogue est aujourd’hui fragilisé parce que le gouvernement actuel refuse la discussion et cherche plutôt à sanctionner les personnes mobilisées, en particulier les organisations syndicales. On assiste à un véritable dialogue de sourds, avec des interlocuteurs gouvernementaux fermés au dialogue. Le modèle syndical fonctionne, mais le dialogue social, lui, reste un tout autre défi.

Est-ce que l’approche du dialogue social avec un gouvernement caquiste demeure un objectif atteignable et réaliste?

Il est clair que le réalisme nous a définitivement rattrapés à l’issue des dernières négociations. Le premier ministre n’a pas encore digéré la défaite qu’il a subie face au Front commun et il continue de nous le faire payer. Je continue de croire que l’avenir nous réserve d’autres moments de dialogue social, mais je demeure pragmatique. Quand on voit un ministre du Travail, avec qui nous avions pourtant de bonnes relations, déposer un projet de loi aussi antisyndical que le PL 89, alors il y a lieu de troquer une certaine dose d’idéalisme pour un peu plus de réalisme.

Comptes-tu renouveler l’expérience du Front commun lors de la prochaine négociation du secteur public?

Il est trop tôt pour le dire mais une chose est certaine, les dernières négociations du secteur public ont envoyé un signal fort au gouvernement : les organisations syndicales au Québec ne sont pas prêtes à baisser les bras et sont capables de se mobiliser pour défendre le bien commun. Donc oui, nous sommes déterminés et oui, nous allons nous battre encore ensemble si c’est la volonté commune des autres organisations et des membres.

Éric, depuis ton arrivée, plusieurs objectifs ont été atteints, notamment en renforçant la présence de la CSQ sur les réseaux sociaux. Quelle est ta vision pour les prochaines années et dans quelle direction souhaites-tu amener la Centrale?

Selon moi, il y a deux choses importantes, indépendamment de la conjoncture politique. D’abord, le rôle d’influence que nous devons exercer auprès des décideurs, mais également auprès de la population. Aujourd’hui, quand on entend parler de la CSQ, on entend parler de solutions et de propositions concrètes, et non pas seulement de revendications.

Ensuite, on ne peut pas échapper à l’importance de la cohésion de notre organisation. Si nous voulons exercer une influence dans la société, il faut nécessairement que nous soyons unis et solidaires les uns envers les autres au sein de notre organisation. C’est pour cette raison que nous faisons autant d’efforts pour maintenir la cohésion chez nos membres, notamment se présenter forts et unis au prochain rendez-vous de la négociation du secteur public.

La cohésion interne, c’est fondamental si on veut continuer à parler d’une voix forte et crédible comme centrale syndicale.

Face à la diversité des revendications et à l’arrivée constante d’enjeux nombreux et complexes, qu’est-ce qui guide ta réflexion et tes décisions au quotidien?

Chaque matin, je pense à nos fédérations et à nos affiliés. Quand on prend une décision, c’est avant tout à eux que je pense. Je me demande comment ils vont en bénéficier et quels seront pour eux les impacts. Chaque jour, mon premier souci est de m’assurer que nos membres sont bien représentés, bien entendus, et surtout, solidement soutenus dans toutes leurs revendications.