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Haïti dans les ténèbres: des profs témoignent

12 mars 2024

« Les gangs armés ont pris en otage toute la zone. Ils ont vandalisé et occupent l’espace où j’habite. Maintenant, je suis isolé. Je suis abattu de tristesse, je n’ai rien en ma possession. Haïti est dans les ténèbres », révèle un enseignant haïtien dans un poignant témoignage. 

Par Luc Allaire, conseiller CSQ, et Hélène Ruel, journaliste retraitée et rédactrice du bulletin de l’AQANU

Cet enseignant*, qui s’est confié à l’Association québécoise pour l’avancement des Nations Unies (AQANU), un organisme de coopération internationale actif en Haïti depuis 51 ans, réside dans une région montagneuse en banlieue de Port-au-Prince[i], là où jusqu’à maintenant, les gangs n’avaient pas sévi. Depuis de longs mois, lorsqu’ils se rendent vers la capitale haïtienne, les habitants de cette commune doivent affronter les gangs qui se trouvent sur les routes. Mais, jamais auparavant, les bandits ne s’étaient aventurés jusque chez eux. 

Des écoles fermées

La situation sécuritaire s’est dégradée dramatiquement au début du mois de mars lorsque le gouvernement a décrété l’état d’urgence et imposé un couvre-feu sur toute l’étendue du territoire national. Cette décision faisait suite à l’attaque perpétrée par des bandits sur le plus important centre carcéral du pays, situé à Port-au-Prince. Plus de 3 000 prisonniers, parmi lesquels se trouvent des personnes très dangereuses, ont pris la fuite.

« Les écoles de la capitale avaient déjà été contraintes de fermer leurs portes le 29 février sous les menaces des malfrats lourdement armés qui avaient fait irruption dans certaines écoles », affirme le secrétaire général d’un syndicat haïtien. Dans les autres villes de province, les établissements d’enseignement situés à proximité des chefs-lieux des départements ont aussi fermé leurs portes. Seules quelques écoles éloignées des grandes villes sont encore ouvertes pour le moment. 

Des enseignantes et enseignants sans travail

Plus aucune région d’Haïti n’est épargnée, les « gangs pullulent à travers tout le pays », déplore un enseignant ayant dû s’exiler après que sa tête a été mise à prix. « Chaque jour, on entend des détonations comme si on était en Ukraine. J’ai été obligé de fuir la zone », écrit un autre enseignant, qui occupait un poste-clé dans l’établissement où il travaillait.

Les écoles étant fermées, les enseignantes et enseignants n’ont plus de travail et donc aucun salaire puisque la majorité des établissements scolaires du pays sont privés. Certaines travailleuses et certains travailleurs demeurent en Haïti malgré la peur qui les habite, d’autres réclament de l’aide pour quitter le pays. 

La peur au ventre

Les enfants craignent d’être kidnappés et les balles perdues. « Paniqués, ils n’ont d’yeux que pour l’extérieur du pays », révèle un enseignant. Même si les écoles ouvraient leurs portes, les élèves, plusieurs étant traumatisés, auraient du mal à retrouver leur motivation.

En Haïti, se terrer chez soi pendant des jours pour éviter de croiser un bandit entraine des risques. « C’est une population de petite bourse où les gens gagnent leur vie au jour le jour. Par conséquent, s’ils ne sortent pas, ne serait-ce qu’une journée, ils auront beaucoup de mal à se nourrir », explique un autre enseignant.

« Le programme humanitaire du président des États-Unis, Joe Biden, favorisant l’émigration, peut constituer une solution pour les individus. Mais ce n’en est pas une sur le plan collectif parce qu’elle provoque la fuite des cerveaux », remarque un enseignant exilé. Il dit constater une certaine « fatigue de la communauté internationale » à l’endroit d’Haïti. « Elle ne veut pas vraiment aider notre pays », déplore-t-il. 

Des projets de coopération proposés par la CSQ

Si ces messages de désespoir ne sont pas entendus par la communauté internationale, ils le sont par les organisations syndicales. En effet, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) a proposé des projets de coopération pour venir en aide aux syndicats haïtiens de l’éducation.

Ces projets ont été acceptés par l’Internationale de l’Éducation (IE), le Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation (CSFEF), la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE) et la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) qui subventionneront, avec la Centrale, des projets administrés par les syndicats affiliés à l’IE.

Ces derniers s’inscrivent dans la campagne mondiale pour une éducation publique de qualité menée par l’IE. Ils permettront aux syndicats de mener une campagne de sensibilisation auprès de la société haïtienne visant à promouvoir le droit à l’éducation publique de qualité, à exiger de l’État haïtien le respect des règles de l’État de droit et de la démocratie, à faire entendre la voix des enseignantes et enseignants en ce qui concerne leur condition de vie et de travail ainsi qu’à exiger l’allocation d’au moins 20 % du budget national au ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle.

S’il y a divergence d’avis quant aux solutions pour sortir Haïti du chaos, il y a consensus sur la nécessité de favoriser l’intégrité des établissements scolaires et l’accès à l’éducation pour les jeunes et de faire en sorte que le personnel enseignant puisse donner ses cours en toute sécurité.

Toutes et tous souhaitent paix et stabilité pour leur pays chéri, qu’ils y habitent ou qu’ils aient dû le quitter.

 

*Cette personne, tout comme les autres ayant témoigné pour cet article, a demandé l’anonymat par crainte de représailles.