Action féministe

Cinquante ans d’action féministe : là où tout a commencé

13 mars 2024

Le 21 mars 2024, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) célèbrera le 50e anniversaire de son comité d’action féministe. En amont de cet évènement important, Ma CSQ cette semaine, vous fait découvrir un pan de l’histoire du mouvement féministe au sein de la Centrale : la naissance du syndicalisme enseignant avec Laure Gaudreault.

Par Jean-François Piché, conseiller CSQ

Il y a bien longtemps que les femmes luttent pour faire valoir leurs droits, pour améliorer leurs conditions de vie et de travail, et pour favoriser leur participation à la société. Déjà, dans les années 1930, celles qui travaillent, notamment les institutrices, réclament de meilleures conditions.

Bien que peu nombreuses sur le marché du travail avant la Seconde Guerre mondiale, les femmes sont toutefois bien présentes dans certains milieux, notamment en éducation. Ainsi, l’année 1936 en est une à se remémorer, car c’est le début d’une grande lutte pour l’amélioration des conditions de travail des institutrices, plus précisément celles qui enseignent en milieu rural.

Ces dernières sont les moins bien payées de toute la profession. La plupart gagnent un misérable salaire annuel de 207 à 242 dollars. Elles gagnent moins que leurs consœurs qui enseignent en ville, et encore moins que leurs collègues masculins.

Les conditions de vie et d’enseignement de l’époque ne sont pas non plus reluisantes. On exige des institutrices qu’elles ne se marient pas, qu’elles ne soient pas vues en compagnie d’hommes, qu’elles ne voyagent pas en dehors des limites de la ville, qu’elles soient chez elles entre 20 heures et 6 heures, et bien plus encore.

Le début d’un temps nouveau

En 1936, une journaliste et institutrice en milieu rural, Laure Gaudreault, se lève pour dénoncer le sort de ses consœurs des campagnes qui sont les moins bien payées de la profession. Elle réunit 30 institutrices à La Malbaie et fonde l’Association catholique des institutrices rurales (ACIR) et y occupe le poste de secrétaire. En à peine 3 mois Laure Gaudreault fonde 14 associations d’institutrices rurales, réparties dans tout le Québec. Il s’agit à ce moment-là d’un exploit hors du commun.

D’associations à fédération… à corporation 

Laure Gaudreault ne se contente pas de former des associations. Elle et trois autres institutrices exigent avec insistance de rencontrer le ministre de l’Instruction publique, afin de faire connaître en haut lieu les conditions difficiles dans lesquelles les femmes exercent leur métier. Laure Gaudreault fixe elle-même la date et le moment de la rencontre, en spécifiant au ministre que, qu’il soit d’accord ou pas, elle sera là!

Elle est finalement reçue au Parlement en février 1937.  Lorsque la délégation quitte le Parlement, elle fonde, avec l’aide de membres du clergé, la Fédération catholique des institutrices rurales (FCIR), qui comprend les 14 associations déjà constituées.

En juin 1937, la Fédération, qui réunit maintenant 300 institutrices de 20 associations différentes, tient son premier congrès. Laure Gaudreault est élue présidente et elle devient également la première institutrice à être libérée à temps complet de sa charge d’enseignement pour exercer ses fonctions syndicales.

Entre 1939 et 1944, 2 autres fédérations d’institutrices et d’instituteurs voient le jour au Québec. Laure Gaudreault travaille à regrouper les 3 fédérations pour former la Corporation des instituteurs et institutrices catholiques de la province de Québec (CIC), qui voit finalement le jour en avril 1946.

Des salaires en hausse

 Comment, à travers les différentes structures qui sont les ancêtres de la CSQ, le syndicalisme a-t-il permis d’améliorer le quotidien de ces institutrices?

Avant même la fondation de la CIC, la FCIR signe une première convention collective en 1940 à Port-Alfred, au Saguenay. Celle-ci fixe le salaire annuel d’une institutrice rurale à 400 dollars, près du double de ce qui était offert en 1936-1937. Outre le salaire, l’obligation pour la commission scolaire d’embaucher les institutrices membres de l’association est instaurée, de même qu’une disposition visant le perfectionnement. Bien que cette première convention collective tienne sur deux pages seulement, les gains sont majeurs.

De fil en aiguille, la Fédération et ses associations membres signent 1 000 conventions collectives au Québec entre 1940 et 1946. Les salaires suivront une forte tendance à la hausse.

Il faut dire que le contexte est favorable, surtout à partir de 1944, année où le gouvernement d’Adélard Godbout fait adopter la Loi des relations ouvrières. Celle-ci met en place le régime d’arbitrage des conventions collectives en cas de conflits, un dispositif qui existe toujours aujourd’hui.

Les institutrices rurales, qui gagnent un salaire nettement inférieur à celui de n’importe quelle autre femme qui travaille dans le secteur privé, profitent de ce régime. Cet écart, difficilement justifiable, oblige les arbitres à niveler leurs salaires vers le haut en leur octroyant de fortes augmentations.

Ainsi, en 1946, un arbitre rend la sentence de hausser le salaire annuel des institutrices à 1 500 dollars. L’effet dans les autres commissions scolaires se fait sentir. En voulant éviter que les institutrices quittent leur emploi pour aller travailler là où la paie est meilleure, les employeurs doivent augmenter les salaires offerts. Cette situation suscite la grogne chez les directions des commissions scolaires.

Duplessis : une embûche de taille 

Les instructrices rencontrent leur premier véritable ennemi depuis le début de leurs actions syndicales en la personne du premier ministre Maurice Duplessis. Cet antisyndicaliste notoire fait voter la Loi pour assurer le progrès de l’éducation, dont la principale disposition retire aux institutrices en milieu rural le droit de recourir à la procédure d’arbitrage. Son argument : ce nouveau système met en péril l’éducation!

L’effet de cette loi sera désastreux. Les salaires des institutrices en milieu rural stagnent jusqu’à la mort de Maurice Duplessis en 1959. Paul Sauvé, devenu premier ministre par intérim, abolit cette loi. Les salaires des institutrices repartent à la hausse pour passer la barre des 2 000 dollars au début des années 1960.

Puis, en 1961, Laure Gaudreault fonde l’Association des retraitées et retraités de l’enseignement du Québec (AREQ), avant de prendre elle-même sa retraite en 1965.

Laure Gaudreault a ainsi été secrétaire de l’ACIR, présidente de la FCIR et première vice-présidente de la CIC. À ce titre, elle a siégé auprès de Léo Guindon, de 1946 à 1951, et de Léopold Garant, de 1951 à 1965. Pourquoi n’a-t-elle jamais été élue présidente de la CIC? Peut-être parce qu’elle était une femme… Mais ça, l’histoire ne le dit pas.