Action féministe

Des congés de maternité durement gagnés

19 mars 2024

La décennie 1970 est particulièrement effervescente en termes de luttes féministes. Les femmes obtiennent d’ailleurs des gains majeurs, comme les congés liés à la maternité. Ceux-ci ont fait l’objet de demandes lors des rondes de négociations du secteur public avec, comme stratégie, la formation de trois fronts communs.   

Par Jean-François Piché, conseiller CSQ, et Julie Pinel, conseillère CSQ

En matière de congés de maternité, la société part de très loin! La convention collective nationale s’appliquant aux enseignantes de commissions scolaires, et signée en 1969, indique que « l’institutrice a le droit de démissionner pour cause de maternité, et ce, sans pénalité pour bris de contrat » et que « en cas de maternité, [elle] peut obtenir sur demande écrite un congé spécial pour une durée déterminée. Ce congé est sans solde sauf si l’institutrice […] bénéficie d’un régime de jours de congé pour maladie ou maternité, lequel prévoit expressément qu’elle peut recevoir une certaine [sic] solde à l’occasion de ce congé de maternité ». 

Si cela semble épouvantable aujourd’hui, il faut savoir qu’avant ces dispositions, le congédiement de l’enseignante enceinte est automatique. Le « droit » de démissionner n’existe tout simplement pas. De plus, la femme qui obtient ce « congé » n’a aucune garantie de retrouver son poste à son retour. C’est au bon vouloir de la commission scolaire.

Des gains obtenus en front commun

En 1972, un premier front commun se forme pour le renouvellement des conventions collectives nationales en éducation et en santé. Les organisations syndicales demandent un salaire minimum de 100 dollars par semaine pour l’ensemble des membres, de même que des améliorations au congé de maternité. Toutefois, après une grève historique et l’obtention de fortes augmentations de salaire, le congé de maternité demeure presque inchangé.

Un second front commun se met en place en 1976. Dans le cadre de la négociation, la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ), devenue la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), bénéficie de la présence de membres du comité Laure-Gaudreault (CLG), créé en 1973. Ce comité demande des changements notables aux dispositions sur le congé de maternité et exige notamment que celui-ci soit payé.

La négociation tourne au ralenti et les membres du Front commun décident de passer à l’action en amorçant des grèves rotatives par région. Le gouvernement de Robert Bourassa décide de voter une loi spéciale qui oblige la fin de la grève et impose les échelles salariales.

Malgré tout, les membres du Front commun poursuivent la grève qui, en raison de la loi spéciale, devient illégale. Quelques jours plus tard, le conflit se règle. Des gains sur le plan du congé de maternité sont octroyés, mais toujours pas de congé payé : « L’institutrice a le droit de démissionner pour cause de maternité, et ce, sans pénalité pour bris de contrat par l’institutrice. En cas de maternité, l’institutrice obtient […] un congé sans solde d’une durée de 17 semaines. La répartition de ce congé, tant avant qu’après l’accouchement, appartient à l’institutrice concernée. […] l’institutrice peut reprendre son poste avant l’expiration du congé de 17 semaines. » 

Les nuances sont subtiles, mais la femme enceinte peut désormais obtenir un congé sans solde que l’employeur ne peut lui refuser. Ce dernier insiste toutefois pour maintenir la disposition sur le « droit de démissionner ».

Finalement, en 1979, un troisième front commun se forme. Cette fois, le CLG de la CEQ réclame un congé de maternité payé et exige que cette demande, portée à la table centrale, soit appuyée par le Front commun. Après des discussions avec les autres organisations syndicales, qui n’ont pas autant de femmes dans leurs rangs que la Centrale, la demande est acceptée.

Encore une fois, une grève illégale est déclenchée avec, à sa tête, la CEQ, les autres membres du Front commun ayant, cette fois, quelque peu plié l’échine. Plusieurs gains sont obtenus, dont le droit à :

  • Un congé de maternité de 20 semaines pour l’enseignante enceinte;
  • Un congé de 10 semaines lors d’une adoption ;
  • Un congé de paternité de 5 jours ;
  • Uncongé sans traitement de 2 ans après l’accouchement pour la travailleuse enceinte.

Bien que les clauses de la convention collective des enseignantes et enseignants soient utilisées dans cette négociation, les gains valent pour toutes les femmes qui travaillent dans le secteur public, pour ensuite être introduits graduellement dans les conventions collectives du secteur privé.

Cette immense victoire pour les femmes a été gagnée notamment grâce à la ténacité du CLG de la CEQ, mais aussi grâce aux batailles menées en front commun. Au fil des décennies suivantes, les droits parentaux seront bonifiés, avec, entre autres, la mise en place du Régime québécois d’assurance parentale.

Pour un congé de maternité payé

En vue de la préparation de la négociation de 1975, une équipe-conseil composée de neuf femmes de la CEQ, élabore un document d’animation et d’enquête afin de soutenir les syndicats locaux dans la négociation de conditions de travail spécifiques aux femmes. Plusieurs enjeux y sont traités, dont les congés de maternité.

À l’automne de la même année, une enquête pour évaluer les coûts de cette demande est lancée. Les résultats permettent de mettre en lumière la présence de nombreux écueils, comme les pertes de salaire importantes, l’utilisation de la banque de congés de maladie et les difficultés d’accès à l’assurance-chômage. De plus, 5% des répondantes affirment avoir été pénalisées quant aux attributions de leur poste au moment de leur retour au travail. Le coût de la demande syndicale pour un congé de maternité payé de 20 semaines est évalué à environ 8 millions de dollars, ce qui représente moins de 1 % de la masse salariale des travailleuses et travailleurs affiliés, à l’époque, à la CEQ.

Les congressistes de 1976 adoptent à la majorité la résolution voulant que la CEQ maintienne fermement la demande d’un congé de maternité jusqu’à l’obtention d’un congé digne de ce nom.

Le 15 novembre 1978, le gouvernement publie, dans la Gazette officielle du Québec, une modification à la Loi sur le salaire minimum afin de permettre, notamment, un congé de maternité d’une durée de 18 semaines. Toutefois, ce n’est pas suffisant pour le CLG et la CEQ, qui décident de poursuivre leur lutte.

En 1979, au terme de la négociation menée en front commun et de 11 jours de grève illégale, les travailleuses et les travailleurs des services publics font un gain important : un congé de maternité payé de 20 semaines, 10 semaines de congé d’adoption et 5 jours de congé de paternité.

Au fil des décennies suivantes, les droits parentaux seront bonifiés, avec, entre autres, la mise en place du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP).