Balado Prendre les devants

Vers un affaiblissement de l’État de droit?

17 décembre 2025

Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer les actions de la Coalition avenir Québec (CAQ) qui ouvrent la porte à des dérives autoritaires et pourraient affaiblir l’État de droit. Au micro du balado Prendre les devants, l’avocat aux services juridiques de la CSQ, Marc Daoud, explique les raisons derrière cette inquiétude.

Par Anne-Marie Tremblay, conseillère CSQ

Il est rare que le Barreau du Québec s’exprime publiquement en dehors de son devoir de réserve. Or, par la voix de son bâtonnier, Me Marcel-Olivier Nadeau, l’ordre professionnel a dénoncé « la multiplication de gestes politiques susceptibles de porter atteinte à l’État de droit », estimant que « certaines mesures envisagées par le gouvernement du Québec […] auront des conséquences importantes et nuisibles à notre régime démocratique ».

Ces préoccupations sont partagées par une centaine de professeures et professeurs de droit au Québec, qui ont cosigné une lettre ouverte pour alerter la population sur ces risques, a rappelé le président de la CSQ, Éric Gingras.

Limiter le droit de contester

Le Barreau s’inquiète notamment des répercussions de la future constitution du Québec. Si le projet de loi no 1 est adopté tel que présenté, certaines mesures viendraient « interdire ou limiter le droit d’une institution ou d’une organisation de recourir aux tribunaux judiciaires pour contester la constitutionnalité d’une loi », a expliqué Marc Daoud.

Concrètement, les institutions et organisations, comme les municipalités, les établissements de soins de santé et les centres de services scolaires ne pourraient plus utiliser de fonds publics pour contester certaines lois québécoises. Selon le Barreau, certaines mesures auraient aussi pour effet « d’intimider les administrateurs et les dirigeants dans leur prise de décisions », qui pourront être tenus de rembourser des sommes s’ils défient la loi.

Une logique semblable se retrouve dans le projet de loi no 3, qui vise à « améliorer la transparence, la gouvernance et le processus démocratique de diverses associations en milieu de travail ». « Sous le couvert d’un « magnifique nom », on vient entraver la capacité organisationnelle et financière des syndicats à faire valoir leurs opinions, tant devant les tribunaux et que sur la place publique », a soutenu Marc Daoud.

Ce dernier cite aussi la Loi 2, adoptée sous bâillon, qui interdit certaines actions concertées de la part des médecins : « L’un des aspects dérangeants, c’est le fait de contraindre les médecins à ne pas pouvoir sortir de la province, par exemple. Cela porte atteinte au droit d’une citoyenne ou d’un citoyen, en l’occurrence les médecins, d’organiser leur vie personnelle et professionnelle sous peine d’importantes sanctions financières. » La loi limite également leur droit de s’y opposer collectivement.

Selon les professeures et professeurs de droit cosignataires de la lettre ouverte, ces mesures traduisent une « volonté d’affaiblir la capacité d’action de plusieurs de nos plus importants contre-pouvoirs institutionnels et de limiter l’exercice de droits par la société civile, réduisant par la même occasion les espaces de délibération indispensables à la légitimité des lois, politiques publiques et décisions gouvernementales ».

Des reculs à prendre au sérieux

Les sociétés qui ont vu leur État de droit s’éroder ont souvent commencé par restreindre la liberté d’expression et d’association, a rappelé le bâtonnier dans une entrevue au Devoir. Bafouer ces droits accroît le risque de dérives autoritaires, a expliqué Marc Daoud : « Dans une dictature, le souverain a le droit d’adopter toutes les lois qu’il veut, sans égard au droit de la personne, et il n’a pas besoin de contextualiser ou de justifier le tout. » Dans une démocratie, toutefois, le gouvernement n’est pas tout puissant et est redevable à ses citoyennes et citoyens qui ont le droit de contester ses décisions.

Ces choix politiques risquent ainsi d’affaiblir l’équilibre entre les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif, un équilibre qui constitue le fondement même de l’État de droit, a rappelé Marc Daoud. « C’est ce qui permet, par exemple, d’éviter qu’un juge soit mis à la porte parce que le gouvernement n’a pas aimé sa décision ou qui garantit la présomption d’innocence dans un procès. » Autrement dit, cet équilibre protège les citoyennes et citoyens contre les décisions arbitraires et garantit l’égalité de toutes et tous devant la loi.

Autant de remparts et de contre-pouvoirs qu’il importe de protéger, surtout lorsqu’on observe l’évolution de la situation chez nos voisins du Sud, ont conclu Marc Daoud et Éric Gingras.

*Les propos ont été résumés et édités pour faciliter la compréhension.

Écoutez l’épisode du balado

Cet épisode du balado Prendre les devants est disponible sur votre plateforme d’écoute préférée ou en format vidéo, ici :