Santé et sécurité au travail

Santé mentale au travail en crise : l’urgence d’agir sur les risques psychosociaux

6 mai 2025

Épuisement, harcèlement, surcharge de travail, perte de sens… Les risques psychosociaux (RPS) du travail mettent en péril la santé mentale de milliers de Québécoises et Québécois. À l’occasion de la Semaine de la santé mentale, du 5 au 12 mai, il est plus urgent que jamais d’agir concrètement pour prévenir cette crise – et la CSQ entend bien convaincre les employeurs de passer de la parole aux actes.

Par Félix Cauchy-Charest, conseiller CSQ

La situation est alarmante. La CNESST a recensé 5 532 lésions professionnelles attribuables à des facteurs psychosociaux en 2023, une hausse de 42 % par rapport à 2019. Cependant, toutes et tous sont d’accord que ce n’est que la pointe de l’iceberg, car les troubles psychologiques et les événements qui les causent souffrent d’un taux très élevé de sous-déclaration, une affirmation confirmée à plusieurs reprises par le ministre du Travail.

On observe des drames humains derrière ces chiffres, connus et cachés : détresse psychologique, dépressions, épuisements professionnels, sans oublier les violences verbales ou physiques subies en milieu de travail. Selon un sondage récent, 11 % des travailleuses et travailleurs québécois affirment avoir été personnellement victimes de harcèlement au travail dans la dernière année, ce qui représenterait potentiellement près d’un demi-million de personnes. Ces constats accablants montrent que les belles paroles ne suffisent plus.

Prévenir les RPS : au-delà des slogans, une nécessité

La santé mentale est à la mode dans les discours patronaux. On organise des « semaines du mieux-être », on proclame le bien-être comme priorité, on écrit et révise des politiques…, mais sur le terrain, rien ou si peu ne change. Or, prévenir les RPS exige bien plus que des slogans : c’est une démarche structurée, qui s’attaque aux causes profondes par de véritables mesures qui visent le mal à la racine : organisation du travail, climat, charge et conditions de travail!

D’ailleurs, la loi l’exige désormais. Adoptée en 2021, la Loi modernisant le régime de SST oblige chaque employeur à identifier et à prévenir les risques psychosociaux dans son organisation. La santé psychologique fait officiellement partie des responsabilités en SST, tout comme la prévention des accidents physiques (l’article 51 de la LSST le stipule clairement).

Agir à la source, en prévention

Concrètement, cela signifie qu’on ne peut plus se contenter d’offrir un programme d’aide aux employés ou une séance de yoga occasionnelle tout en surchargeant le personnel ou en tolérant un climat toxique. Il faut agir à la source.

Par exemple, la surcharge de travail est un facteur de risque majeur : une étude québécoise auprès du personnel scolaire a confirmé que la charge de travail élevée est le RPS le plus fréquemment rapporté, et qu’elle est associée à tous les indicateurs de mauvaise santé mentale mesurés (détresse psychologique, présentéisme, absentéisme, épuisement, perte de sens au travail, intention de quitter le métier, etc.). Autrement dit, s’attaquer aux horaires surchargés et au manque de ressources, c’est s’attaquer directement aux causes de la détresse et de l’épuisement professionnel. De même, lutter contre le harcèlement et les incivilités au travail nécessite des politiques claires, des formations et une tolérance zéro envers les comportements toxiques.

Ce n’est pas qu’une question de compassion, c’est aussi du bon sens organisationnel. Des RPS ignorés coûtent cher aux employeurs : absentéisme, roulement de personnel, présentéisme, départs prématurés et baisse de productivité s’accumulent. À l’inverse, des milieux de travail sains où la charge de travail est raisonnable, où les employés sont respectés et soutenus, profitent à tout le monde.

En première ligne : les syndicats comme levier de changement

Pourquoi, alors, si les bénéfices d’une vraie prévention sont connus, si les obligations légales existent, assiste-t-on encore à si peu de changements concrets? Parce que sans contrainte, trop d’employeurs tardent à agir. C’est ici qu’interviennent les syndicats, dont le rôle est plus central que jamais pour faire bouger les choses. La CSQ et l’ensemble du mouvement syndical voient quotidiennement les ravages des RPS sur le terrain.

Par exemple, le personnel de l’éducation, majoritairement représenté par la CSQ, est durement touché. Une étude de l’INSPQ menée en 2022 auprès du personnel des écoles publiques a révélé que plus de la moitié des employés sondés (57 %) se considéraient en détresse psychologique élevée ou très élevée, 95 % attribuant cette détresse en bonne partie au travail, et qu’environ 40 % avaient subi du harcèlement psychologique en milieu scolaire au cours d’une seule année. Ce genre de réalité intolérable ne changera que si les travailleuses et les travailleurs agissent collectivement pour exiger des correctifs.

Les organisations syndicales sont en première ligne pour obliger les employeurs à passer de la parole aux actes :

  • Mobilisation et dénonciation des problèmes sur le terrain : les syndicats donnent une voix aux travailleuses et aux travailleurs pour exposer la surcharge, le harcèlement ou le manque de soutien, et pour revendiquer des correctifs immédiats. Ils sensibilisent aussi le public à l’importance de milieux de travail sains.
  • Négociation de mesures préventives dans les conventions collectives : clauses contre le harcèlement psychologique, encadrement de la charge de travail (horaires, ratios, etc.), droit à la déconnexion, amélioration des conditions qui donnent du sens au travail (formation, reconnaissance). Ces outils contractuels obligent l’employeur à respecter des balises concrètes.
  • Comités en santé et sécurité du travail : les syndicats s’assurent que les comités SST se penchent aussi sur la santé psychologique. Identification des risques psychosociaux, enquêtes internes sur le climat de travail, suivi des plans d’action –, rien de tout cela ne se fait sans la vigilance syndicale.
  • Pression politique et légale : avec la Centrale et ses fédérations, les syndicats font campagne pour renforcer le cadre légal et réglementaire. Que ce soit pour bonifier les normes du travail, exiger du gouvernement plus de ressources dans les services publics afin de réduire la surcharge, ou pour faire connaître les coûts sociaux liés à l’épuisement professionnel, leur action politique vise à créer un environnement où la santé mentale des travailleuses et travailleurs devient une priorité réelle et non optionnelle.

En combinant ces leviers, le mouvement syndical québécois force graduellement un changement de culture. Il rappelle que derrière chaque statistique de santé mentale se trouve une personne humaine, avec sa dignité et son droit à un travail sain et sécuritaire. En cette Semaine de la santé mentale, le message syndical est clair : il est temps que les beaux discours cèdent la place à de véritables actions. La santé mentale des travailleuses et travailleurs ne peut plus attendre.