Petite enfance

Petite enfance : deux hommes et plusieurs couffins!

24 avril 2024

Quand on parle de métiers non traditionnels, on parle surtout de femmes qui œuvrent dans des domaines traditionnellement masculins. Les stéréotypes ayant la vie dure, il est rare de voir les hommes dans des milieux à prédominance féminine. Pour montrer que les hommes aussi ont leur place en petite enfance, la FIPEQ-CSQ a organisé une discussion avec deux hommes ayant choisi d’éduquer nos tout-petits ! 

Par Félix Cauchy-Charest, conseiller CSQ 

Ne nous le cachons pas, des hommes en petite enfance, ça surprend. Même pour vous, chères lectrices et lecteurs fidèles de Ma CSQ cette semaine, parions que le visage d’une éducatrice est la première image qui vous vient en tête lorsqu’on évoque les métiers de la petite enfance. 

Patrick Desrochers et Dominick Turgeon sont tous deux de grands gaillards qui ont choisi une voie professionnelle peu empruntée par les hommes québécois. Ils sont éducateurs à la petite enfance en CPE. Dans le cas de Patrick, il aime tellement ce métier qu’il l’enseigne aux étudiantes et étudiants en Techniques d’éducation à l’enfance au Cégep de Sainte-Foy. Qu’est-ce qui les a amenés à faire ce choix de métier ? 

Une réorientation de carrière 

Pour nos deux intervenants, c’est une réorientation qui les a menés sur le chemin de l’éducation à la petite enfance. Dans le cas de Dominick, qui a un peu roulé sa bosse en pâtisserie, l’appel d’autre chose s’est concrétisé par un essai en Techniques d’éducation à l’enfance. On peut dire que la pâte a bien levé puisque ça fait cinq ans qu’il exerce le métier. 

Dans le cas de Patrick, c’est la rareté des débouchés en enseignement de l’éducation physique qui lui a donné l’idée d’aller accompagner nos tout-petits dans leur développement. Après dix ans comme éducateur, il a décidé de passer de l’autre côté du banc et de coacher les futures étoiles de l’éducation à la petite enfance. 

Les hommes en petite enfance : une denrée rare 

Comme le soulignait Véronique Brouillette, conseillère à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), lors de la discussion : « Au Québec, il n’y a qu’environ 2 % à 5 % d’hommes dans la profession, alors qu’ailleurs, au Danemark par exemple, on est à 16 %. » Qu’est-ce qui peut expliquer cette faible représentation ? 

« Personnellement, je pense que, parmi les raisons principales, c’est le salaire qui peut avoir un impact, et autant pour les femmes que pour les hommes. Mais je pense que ça a vraiment un impact. Ensuite, il y a les préjugés, les stéréotypes, qu’on pense qui sont disparus. Mais c’est faux, ils existent encore. Je vous avouerai que ça a diminué, mais ils existent encore », souligne Patrick Desrochers. 

Dominick Turgeon renchérit : « Je n’ai jamais eu de commentaires d’un parent directement. Mais j’ai déjà eu, lors d’un stage, une éducatrice qui m’a fait part d’un commentaire qu’un parent lui avait fait. Puis elle avait vraiment rassuré le parent pour lui expliquer : ton enfant, il l’aime beaucoup, et puis il fait le même travail qu’une de nous autres [les éducatrices]. » 

« Au début, c’est sûr qu’on a une crainte, les parents peuvent être hésitants. Mais dès que tu fais ta place puis que tu démontres tes habiletés, tes aptitudes, puis que tu as les compétences pour le faire, ça part rapidement. Si je peux rassurer les jeunes qui veulent travailler dans ce domaine-là : n’hésitez pas, parce que les milieux vous attendent ! », rappelle le prof au DEC en Techniques d’éducation à l’enfance, pour qui le recrutement est une priorité. 

Grand gaillard, petits poupons 

On parle souvent de l’aspect affectif du travail en petite enfance, mais l’aspect physique comporte des enjeux qui sont tout aussi importants ! Alors que dans le domaine de la construction, les salaires sont plus élevés parce que le travail est physiquement difficile, on n’aborde presque jamais la question. 

Dans le cas de Dominick, grand gaillard de 6 pieds 4 pouces qui s’occupe des poupons de 18 mois, il est important de prendre les précautions nécessaires pour ne pas se blesser. « Je travaille avec des tout-petits, dans le quotidien, je m’assois sur une chaise pour être à leur hauteur ; pour les aider à s’habiller, je dois être plié en deux. » 

Pour Patrick, il y a de nombreux enjeux qui mériteraient d’être abordés. « On n’est pas toujours dans des positions confortables. On se met à genoux, on se met par terre, on se met au niveau de l’enfant, on est debout, on descend des escaliers, on monte des escaliers, etc. Les gens ne voient pas cet aspect-là. Même nos étudiantes et étudiants ne se rendent pas compte que c’est important d’être en forme ! » 

Il nous fait part d’un calcul rapide : en pouponnière, les éducatrices ont 5 enfants à leur charge, qui pèsent 10, 15, 20 livres. Elles les soulèvent 5 fois par jour, pendant des années, ça commence à avoir un impact. 

« Ce que m’apporte mon métier, c’est que j’ai toujours adoré prendre soin des enfants. Ce que j’aime, c’est de voir que je les aide à aller plus loin, puis voir la joie que ça apporte. Juste le fait de dire : “Eh ! Tu as réussi à mettre tes pantalons tout seul. Bravo !”, le sourire qu’il a dans son visage ! On est partis de : “OK, on le fait ensemble, à OK, là tu es rendu capable de le faire tout seul”. » 

Persévérants, les hommes ? 

Notre enseignant en Techniques d’éducation à l’enfance est bien placé pour nous parler de la persévérance des hommes dans le milieu de la petite enfance. « En 2024, on a eu six gars qui se sont inscrits. Malheureusement, il y en a juste deux qui restent à la session d’hiver. C’est clair que la rétention devient difficile, mais la rétention est difficile aussi au niveau des femmes. On est passé de près de 80 inscriptions à l’automne à 60 inscriptions à l’hiver. » 

D’après Patrick Desrochers, la solution passe par la valorisation de la profession, tant pour les hommes que pour les femmes. Cela passe par la reconnaissance de ce que ça demande pour être éducateur ou éducatrice. 

Des modèles différents 

« C’est important pour les enfants, surtout à ce stade de développement, d’avoir des modèles différents, soutient Patrick. Il faut être clair, il n’y a pas de différence entre les capacités d’un homme ou d’une femme, mais on est socialisé de façon à moins craindre la prise de risque, le chamaillage supervisé, etc. Puis la prise de risque dont on parle, c’est supervisé, dans un environnement sécuritaire ! Parfois, les gens confondent risque et danger. » 

Pour Dominick, c’est la nature des activités qui pique l’intérêt des enfants d’abord et avant tout. « Je ne crois pas que c’est parce que je suis un homme que les jeunes garçons viennent vers moi, c’est surtout parce que je fais des jeux actifs. Ça pourrait être n’importe qui que ça les intéresserait. » 

Selon Patrick, l’effet de rareté joue quand même un rôle. « Pour les garçons, ça permet d’avoir un modèle qui leur ressemble. Peut-être que c’est parce qu’ils ne voient pas souvent de gars, mais ça joue. Je pense que ça amène une belle mixité, une belle complémentarité entre les gars puis les filles. »