Économie

Le retour des prévisions pessimistes

1 novembre 2023

Alors que le ministre des Finances du Québec, Éric Girard, s’apprête à présenter une mise à jour économique et financière le 7 novembre prochain, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) fait connaitre ses attentes envers le gouvernement.

Par Minh Nguyen et Pierre-Antoine Harvey, conseillers CSQ

La mise à jour économique et financière permet au gouvernement de réajuster son tir, tant sur le plan de ses objectifs de solde budgétaire que sur le plan de ses priorités d’action, huit mois après le dépôt de son budget. S’il avait l’habitude de déclarer, depuis une dizaine d’années, un surplus « surprise » ou un déficit nettement moins élevé que prévu au mois de mars, le gouvernement ne devrait pas annoncer, cette fois, une embellie dans les finances publiques.

Le ralentissement économique des derniers mois, conséquence de la hausse agressive du taux directeur d’intérêts par la Banque du Canada, vient affecter les résultats financiers du gouvernent. Déjà, à la fin septembre, le ministre des Finances avertissait que les revenus devaient être revus à la baisse d’un milliard $ (voir l’article Un milliard de moins dans les coffres de Québec sur le site du Journal de Montréal). Ce pourrait-il que le gouvernement commençait déjà à préparer les esprits en vue d’une mise à jour plus sombre que les années précédentes?

Dans un contexte où les demandes d’investissements fusent de toute part – entre autres du côté des municipalités pour le transport en commun et le logement social ainsi que des employés du secteur public et des services éducatifs à la petite enfance, qui sont en négociation –, le ministre (et le gouvernement) a un certain intérêt à mentionner que, financièrement, la situation ne permet pas d’accorder de bonnes hausses salariales.

Rappelons tout d’abord que le budget de mars 2023 avait prévu un ralentissement économique. Une « réserve pour éventualité » de 1,5 milliard $ avait déjà été comptabilisée dans les dépenses. Ainsi, s’il manque comme prévu un milliard $ en revenus, le bilan financier du gouvernent demeurera quand même au-dessus de ses attentes réelles.

Afin de s’assurer de ne pas atteindre un déficit plus bas que prévu, nous prévoyons que le gouvernement promettra, au moment de la mise à jour économique, quelques nouveaux investissements. Déjà, il a fait une nouvelle offre au Front commun, le 29 octobre 2023, qui sera comptabilisée cette année. Il a aussi annoncé, dans les médias, des investissements pour lutter contre l’itinérance, améliorer l’offre de logements sociaux et faire face aux changements climatiques. Le ministre voudra-t-il prendre des engagements qui pourraient ternir son bilan financier en augmentant le déficit prévu ou se contentera-t-il de dépenser toute la réserve tout en maintenant le cap au niveau du déficit?

Bien qu’il n’y ait pas de consultation formelle en prévision de la mise à jour économique, la CSQ souhaite faire part des orientations qu’elle juge prioritaires. Celles-ci se déclinent en trois thèmes : la gestion durable de l’inflation, la réforme des règles budgétaires et l’investissement dans les services publics.

La gestion durable des conséquences de l’inflation

La CSQ préconise une approche durable pour faire face aux conséquences de l’inflation et espère que le gouvernement prendra au sérieux cet enjeu. Elle estime que des chèques temporaires pour lutter contre l’inflation, comme le montant de 500 $ pour tout adulte qui gagne moins de 100 000 $ par année, comme nous l’avons vu au budget de 2022, est une mesure inefficace à long terme et contreproductive.

Les baisses d’impôt pour les premiers paliers d’imposition, qui ont fait partie du budget de mars 2023 et que le gouvernement de la CAQ appelle « un bouclier anti-inflation », sont aussi une mesure qui fera plus de mal que de bien. Cette baisse d’impôt, qui correspondait à une économie de 50 $ pour les travailleuses et travailleurs les plus pauvres et de 814 $ pour les personnes faisant partie du 1 % les plus riches, a réduit les recettes gouvernementales de près de 2 milliards $ (voir le dossier Baisse d’impôt : une bien mauvaise idée). Cette baisse d’impôt s’ajoute à celles des 5 dernières années. Cela correspond à plus de 4 milliards $ de pertes récurrentes pour le financement des services publics.

Ces stratégies pour lutter contre les conséquences de l’inflation ne protègent pas de manière durable le pouvoir d’achat des travailleuses et travailleurs. La véritable protection du pouvoir d’achat passe par des augmentations de salaire suffisantes.

En tant qu’employeur, le gouvernement doit montrer l’exemple en garantissant à ses employés des salaires justes, qui assurent une protection contre les pressions inflationnistes sur les finances des ménages.

La réforme des règles budgétaires

La CSQ appelle le gouvernement à se doter des moyens nécessaires pour réaliser ses ambitions budgétaires en engageant une réforme des règles budgétaires. Le projet de loi no 35, déposé à l’Assemblée nationale, précise les modifications envisagées concernant la Loi sur l’élimination du déficit et l’équilibre budgétaire (LEB) (adoptée en 1996) et la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations (adoptée en 2006), qui sont des contraintes importantes pour la marge de manœuvre du Québec.

La LEB introduit trois éléments de souplesse. D’abord, dans l’éventualité où un déficit non prévu au moment du budget est constaté lors de la publication des comptes publics, il sera sans conséquence pourvu qu’il demeure inférieur aux versements de l’année au Fonds des générations. Le ministre a également réduit les sources de revenus destinés au Fonds des générations. Par la suite, il disposera d’un délai supplémentaire pour présenter son plan visant à rétablir l’équilibre budgétaire. Et finalement, il sera envisageable de ne pas suivre scrupuleusement un plan de retour à l’équilibre si l’économie connait une reprise moins robuste que prévu après une période de ralentissement économique ou de récession.

Ces réformes aux règles budgétaires ne sont pas suffisantes, cependant, pour donner une bonne marge de manœuvre à l’État afin de remplir sa mission. En ce sens, la CSQ plaide depuis longtemps pour que l’équilibre budgétaire soit calculé avant le versement au Fonds des générations, afin d’assurer une gestion plus flexible des finances publiques.

Investir dans les services publics

La CSQ insiste sur la nécessité d’investir dans les services publics pour répondre aux besoins des Québécoises et des Québécois et leur fournir des services de qualité.

Les services publics sont, par définition, une mutualisation de services offerts à la population. Ils sont une mise en commun de ressources pour partager de manière universelle un service, comme celui de l’éducation ou celui des soins de santé. Il est, en ce sens, nécessaire de valoriser les travailleuses et travailleurs qui s’assurent que ces services soient rendus.

Cette valorisation passe par l’amélioration des conditions de travail, notamment en respectant l’autonomie professionnelle du personnel et en offrant des emplois de qualité qui garantissent un nombre d’heures suffisant. La qualité des services publics est un élément essentiel pour le bien-être de la population, et la CSQ encourage fortement le gouvernement à investir dans ce domaine.