Société

Intervention de Louise Chabot

3 juillet 2012

À l’initiative du CSFEF, la présidente de la CSQ, Louise Chabot a fait une intervention dans le cadre du Forum mondial de la langue française sur l’enseignement du français en contexte plurilingue, qui se tient présentement à Québec du 2 au 6 juillet 2012.

Québec, le 3 juillet 2012. – À l’initiative du Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation (CSFEF), la présidente de la CSQ, Louise Chabot a fait une intervention dans le cadre du Forum mondial de la langue française sur l’enseignement du français en contexte plurilingue, qui se tient présentement à Québec du 2 au 6 juillet 2012.
La question linguistique au Québec est l’objet d’enjeux politiques même après 35 ans de l’adoption de la Charte de la langue française.
Pour certains, dont le gouvernement actuel, la situation du français n’est pas critique au Québec. Pour d’autres, notamment les organisations qui militent pour la promotion et la défense du français, dont la CSQ, on observe une bilinguisation de la société québécoise, et ce, particulièrement dans la région de Montréal qui est de plus en plus multilingue et où l’usage de l’anglais devient de plus en plus important, ce qui a pour conséquence de fragiliser la vitalité linguistique et culturelle de la société québécoise.
En effet, on ne peut sous-estimer les pressions qui s’exercent sur le statut linguistique du Québec, notamment :

  • Une fécondité qui ne permet pas le remplacement de la population francophone et qui a comme conséquence une diminution du nombre de jeunes fréquentant les écoles primaires et secondaires. Entre 1971-1972 et 2010-2011, on a observé une baisse importante de l’effectif scolaire, soit une diminution de 600 000 jeunes.
  • L’Office québécois de la langue française (OQLF) estime que la population francophone deviendra minoritaire sur l’île de Montréal en 2031, passant de 54 % à 47,5 %. Cette minorisation sera notamment attribuable à l’augmentation du nombre d’allophones sur l’île et au départ des francophones vers les couronnes nord et sud de Montréal.
  • La forte rétention de la population immigrante dans la région de Montréal, ce qui a comme conséquence une diminution significative du nombre de personnes ayant le français comme langue maternelle sur l’île de Montréal, mais aussi en périphérie de Montréal.
  • L’importance croissante de l’anglais comme langue du travail.

La place de l’anglais dans le cursus scolaire

La situation dans le réseau scolaire1
L’école joue un rôle majeur dans la transmission du français comme langue commune. Avant 1976, nous n’avions aucun instrument juridique fort qui nous permettait d’orienter les élèves allophones vers les écoles francophones. Grâce à la Charte de la langue française, nous avons accompli d’énormes progrès, notamment en imposant l’obligation de fréquenter l’école française, sous réserve de certaines exceptions, entre autres, pour la minorité historique anglophone du Québec. Aujourd’hui, l’école québécoise accueille un peu plus d’un million d’élèves qui fréquentent les écoles primaires et secondaires. De ce nombre, près de 900 000 jeunes ont le français comme langue d’enseignement, ce qui est important, car cela signifie que nous réussissons à scolariser non seulement les enfants francophones, mais aussi les enfants de l’immigration. Ceux que nous appelons « les enfants de la loi 101 ».
Ces progrès bien réels ne peuvent toutefois occulter certaines tendances qui risquent de fragiliser l’enseignement du français. Nous en indiquerons trois :
La première tendance, c’est le recours à des écoles-passerelles qui permettent à certains parents d’acheter un droit à l’école anglophone publique à certaines conditions pour leurs enfants qui, normalement, devraient fréquenter un établissement francophone.
La deuxième tendance concerne l’enseignement de l’anglais, langue seconde. Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) veut implanter l’apprentissage intensif de cette discipline en 6e année du primaire. Cette approche serait progressivement étendue à tout le Québec sur un horizon de cinq ans. Pour offrir ce programme d’anglais, il faut retirer près de 400 heures d’enseignement dans l’ensemble des autres matières du programme de 6e année. La CSQ et sa fédération représentant le personnel enseignant, mais aussi celle qui représente le personnel professionnel sont préoccupées par cette intensification de l’enseignement de l’anglais :

  • Il faut répondre aux préoccupations du personnel enseignant concernant la réussite des élèves, particulièrement ceux éprouvant des difficultés d’apprentissage, l’atteinte des objectifs du curriculum et tenir compte de la pénurie annoncée de personnel enseignant qualifié en anglais, langue seconde.
  • Il faut aussi reconnaître qu’enseigner l’anglais comme langue seconde dans un milieu relativement homogène, comme c’est le cas dans la majorité des régions du Québec, ne pose pas le même défi qu’introduire cet enseignement intensif dans des écoles où près de 60 % et parfois plus des jeunes n’ont pas le français comme langue maternelle ou même d’usage dans le quotidien de leur famille.

La troisième tendance que nous observons, c’est la pression que subissent les étudiantes et les étudiants du Québec afin qu’ils acquièrent une connaissance suffisante de l’anglais. Cela se répercute sur la formation professionnelle au secondaire et technique au collégial. En effet, au nom des exigences d’un marché du travail de plus en plus continentalisé, voire internationalisé, il est difficile dans certains domaines d’études d’obtenir la documentation française nécessaire à sa formation, que ce soit les manuels d’instruction, les logiciels et les livres techniques.
En ce qui concerne la fréquentation des collèges francophones, les statistiques démontrent que les allophones fréquentent de plus en plus les cégeps français. Il n’y avait que 15,6 % de jeunes allophones à fréquenter un cégep français contre 53 % actuellement. Malgré ce progrès, on ne peut que constater que les cégeps anglais ont toujours un attrait disproportionné et, fait préoccupant, c’est que par la suite ces jeunes allophones poursuivront leur formation universitaire dans les universités anglophones. Il est difficile de mesurer l’impact de ces cheminements scolaires sur la situation linguistique du Québec, mais une chose est certaine, ces jeunes auront acquis leur formation professionnelle en anglais.

Les stratégies

Ces quelques enjeux que nous venons d’énumérer ont incité la CSQ à se doter d’un cadre stratégique relativement à l’enseignement de la langue française. Ce que nous avons cherché à développer, c’est une proposition cohérente tout en étant conscients que les solutions actuelles et celles de demain ne peuvent se concevoir comme celles des années 1970. Mais, en même temps, il nous faut trouver l’avenue entre les envies individuelles de l’apprentissage de la langue anglaise et le souci collectif inscrit dans notre Charte, soit que « le français est la langue officielle du Québec » (article 1) et que « toute personne admissible à l’enseignement au Québec a droit de recevoir cet enseignement en français » (article 6).
Notre 40e Congrès tenu la semaine dernière nous a permis d’adopter certaines résolutions qui orienteront le travail de la CSQ au fil des prochains mois, voire des prochaines années. Ce que nous souhaitons, c’est :

  • Une amélioration substantielle des mesures de francisation (classes d’accueil, refonte des programmes, accessibilité, ressources humaines et matérielles).
  • L’augmentation des sommes d’argent qui y sont consacrées.
  • La reconnaissance du droit à l’apprentissage du français comme un droit fondamental.
  • L’instauration d’une offre de services adéquate dans les commissions scolaires et les cégeps pour la francisation des personnes immigrantes.

En ce qui concerne l’accès au matériel pédagogique en français, le Congrès a clairement exprimé que, lorsqu’ils sont disponibles, les logiciels français, les versions françaises des logiciels et la terminologie française soient obligatoirement utilisés pour l’enseignement et dans tous les réseaux scolaires, collégiaux, universitaires publics ou privés.
Quant à l’enseignement de l’anglais intensif, la CSQ et ses fédérations poursuivent actuellement des travaux avec le ministère pour baliser cet enseignement.
En terminant, il est important de souligner que la CSQ ne travaille pas ces questions en vase clos. Nous menons des discussions constantes avec des organisations qui militent pour la promotion et la défense du français au Québec. Ensemble, nous exerçons une vigilance sur l’action gouvernementale et institutionnelle pour dépister tout recul ou pour soutenir toute avancée. Ces alliances se traduisent aussi sur le plan international justement par notre participation au CSFEF et par nos représentations sur la scène internationale auprès des ministres de l’Éducation.

Quelques données statistiques

  • Actuellement, seulement 22 % de la population canadienne est de langue maternelle française.
  • Les données du recensement de 2006 nous apprennent que le pourcentage de Québécoises et de Québécois qui ont la langue française comme langue maternelle se situe à 79,6 %. Le pourcentage de celles et ceux qui ont la langue anglaise comme langue maternelle se dénombre à 8,2 %, alors que les allophones sont présents à 12,3 %. On observe, sur ce plan, que la proportion de celles et ceux qui ont la langue française comme langue maternelle a diminué de manière considérable pour basculer sous les seuils très symboliques des 80 % au Québec et des 50 % à Montréal.
  • Selon une étude publiée en 2011 par l’Office québécois de la langue française, les francophones (du moins ceux qui parlent français à la maison) pourraient être minoritaires sur l’île de Montréal dès 2031. Cette régression du français s’effectue au profit des autres langues, alors que les francophones ne représentent plus que 47 % de la population de Montréal, les allophones 29 % et les anglophones 23 %.
  • La langue anglaise conserve un attrait particulier au Québec. Elle a un taux de persistance, d’attraction et un indice de vitalité supérieure à la langue française. Dans la même veine, la majorité des substitutions linguistiques se font en faveur de la langue anglaise à Montréal (57,2 % pour la langue anglaise contre 42,85 % pour la langue française).
  • Entre 2001 et 2006, la proportion des personnes qui utilisent le français à la maison a diminué de 93,6 % à 92,6 %, alors que la proportion de celles qui parlent l’anglais dans leur vie privée a augmenté de 19,5 % à 20,6 %.
  • Selon le Conseil supérieur de la langue française, la fréquentation d’un premier établissement scolaire en français contribue significativement à adopter cette langue. Il observait, en 2004, que 66 % des allophones scolarisés en français utilisent cette langue pour leur communication, comparativement à seulement 36 % des allophones scolarisés en anglais.
  • Le recensement de 2006 nous apprend que 8,2 % de la population avait la langue anglaise comme langue maternelle. De plus, on y lit que 16,8 % des étudiantes et des étudiants qui fréquentent un collège le font en anglais, ce qui est plus que le double du poids démographique de la minorité anglophone au Québec. Même si l’on prend le pourcentage de personnes qui ont la langue anglaise comme langue d’usage au Québec (10,5 % en 2006) (Statistique Canada, 2007), la fréquentation collégiale en anglais reste tout de même disproportionnée.
  • L’évolution des données de 1990 à 2007 démontre que de moins en moins de francophones s’inscrivent au cégep en français, passant de 96,7 % à 94,4 % (Maheu, 2008).
  • L’étudiante ou l’étudiant qui accomplit ses études postsecondaires en anglais aura beaucoup plus de chance de travailler en anglais, dès lors qu’il a acquis le langage technique lié à son milieu de travail dans cette langue (IRFA, 2010, p. 1). De plus, la fréquentation d’un cégep ou d’une université anglophone augmente la probabilité d’obtenir un emploi dans le reste du Canada.
  • Le réseau scolaire de la minorité anglophone du Québec est le mieux financé du Canada. Dans le reste du Canada, les minorités linguistiques francophones ont souvent des réseaux scolaires bien en deçà de leur poids démographique. Au contraire, le réseau scolaire anglophone du Québec a une offre de formation plus importante que le poids démographique de cette minorité.
  • En ce qui concerne la langue de travail, selon Statistique Canada le quart des travailleurs sur l’île de Montréal utilisent l’anglais le plus souvent dans leur emploi et 15 % utilisent régulièrement l’anglais.

1.    Les références de cette section sont tirées du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS) (2012). Indicateurs linguistiques dans le secteur de l’Éducation, gouvernement du Québec, p.1.