Société

Crise du logement : portrait d’une dure réalité

26 octobre 2023

Il manque d’habitations abordables au Québec, mais il en manque aussi tout court pour répondre aux besoins de la population. Tour d’horizon de la crise du logement, de ses causes et des solutions pour s’en sortir.

Par Minh Nguyen, conseiller CSQ

La crise se caractérise par une pénurie d’habitations abordables, une augmentation rapide des prix des loyers et de celui des maisons, et des difficultés d’accès à un logement décent pour divers groupes de la société, notamment les personnes démunies, les travailleuses et travailleurs à statut précaire, les jeunes familles et les membres des communautés autochtones.

Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), pour les 20 % des ménages canadiens ayant les plus faibles revenus, 23 % des appartements de Montréal et 25 % de ceux de Québec ne sont pas abordables, car il faudrait qu’ils consacrent plus de 30 % de leur revenu avant impôt au paiement du loyer. Pour revenir à un taux d’abordabilité comparable à celui du début des années 2000, la SCHL estime qu’il faudrait construire 1 190 000 logements d’ici 2030.

Dans un marché équilibré, le taux d’inoccupation se situe autour de 3 %. Il est demeuré sous cette barre entre 2018 et 2022. Pendant cette période, le loyer moyen, lui, a grimpé de plus de 25 %. Les ménages pauvres, qui se cherchent un nouvel endroit où vivre, sont alors confrontés à un double défi : le cout croissant des appartements et leur rareté de plus en plus importante.

Le difficile accès à la propriété 

Autre facette de la crise : la récente flambée des prix de l’immobilier. Celle-ci rend plus difficile l’accès à la propriété pour les jeunes ménages. Selon une analyse de la firme AppEco, le ratio entre le revenu disponible et le prix moyen des maisons est passé de 4 au début 2006 (une maison coutait en moyenne 4 fois le revenu disponible moyen d’un ménage québécois) à 5,8 au début 2021 dans la région de Montréal. Alors que l’accès à la propriété est plus difficile, bien des jeunes font le choix de demeurer locataires, accentuant ainsi la rareté des appartements.

Des conséquences multiples

La crise affecte autant les locataires que les ménages cherchant à accéder à la propriété, et cette situation entraine de multiples effets, notamment une recrudescence du phénomène de l’itinérance. Bien que complexe et causée par de multiples enjeux, entre autres celui de l’accès aux services sociaux (santé mentale, dépendance), l’itinérance est intimement liée à la situation du logement et à son abordabilité.

La situation frappe aussi particulièrement les personnes ainées, dont 39 % bénéficient du supplément de revenu garanti puisque leur revenu annuel est inférieur à 20 832 dollars (personne seule).

La forte hausse des prix de l’immobilier, jumelée aux bas taux d’occupation un peu partout au Québec, est également un incitatif pour les propriétaires à vendre leurs immeubles ou à évincer leurs locataires en vue de louer leurs appartements aux prix de ceux sur le marché. Le nombre d’évictions forcées a doublé entre 2021 et 2022, passant de 1 243 à 3 110 cas au Québec.

Réalités autochtones

La crise du logement est une réalité bien connue des communautés autochtones. Elles font face à des enjeux d’habitations surpeuplées et en mauvais état ainsi qu’à un cruel manque de toits pour une population en forte croissance. Le recensement de 2021 de Statistique Canada a permis de jeter un éclairage sur la situation des populations autochtones partout au Canada :

  • 17,1 % d’entre elles (soit 309 345 personnes) vivaient dans un logement surpeuplé qui était jugé non convenable pour le nombre de personnes occupantes.
  • 16,4 % vivaient dans un logement nécessitant des réparations majeures.
  • Les communautés plus éloignées et nordiques vivaient les plus graves problèmes.

Pour en savoir plus :

Les changements démographiques en causes

Plusieurs changements démographiques ajoutent une pression supplémentaire sur le marché de l’habitation, qui se répercute sur la crise actuelle.

  • La croissance de la population : après une relative stagnation en 2020, la population du Québec a recommencé à croitre entre 2022 et 2023. En 10 ans, elle a augmenté de près de 700 000 personnes, dont 153 000 dans la dernière année seulement.
  • La réduction de la taille des ménages : ces derniers étaient composés de 3,7 personnes en moyenne en 1976, comparativement à 2,2 en 2021. Les personnes vivant seules ou les familles séparées sont aussi plus nombreuses. La simple diminution de 2,3 à 2,2 personnes par ménage, comme celle survenue entre 2016 et 2021, implique un besoin additionnel de 65 000 logements.

La ruée sur les résidences secondaires

La pandémie et le télétravail sont à l’origine d’une « ruée vers la nature » qui exerce, elle aussi, une pression sur la demande d’habitation dans les régions du Québec. Ce phénomène provoque une explosion de la demande et des prix des résidences secondaires depuis 2020.

Selon Royal LePage, entre 2019 et 2022, le prix moyen des propriétés récréatives au Québec est passé de 206 300 dollars à 373 000 dollars, soit une augmentation de 81 %. Cette envolée des prix a un effet indirect sur ceux des habitations locatives, ce qui accentue la crise du logement en région.

Les locations de courte durée

L’arrivée des locations à courte durée sur des plateformes numériques comme Airbnb contribue à retirer du marché locatif des logements nécessaires pour les ménages québécois.

Selon le décompte du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), il y avait, en février 2023, 29 482 locations offertes sur Airbnb pour tout le Québec, dont 90 % étaient des logements entiers.

Les retards dans la construction de logements sociaux

Devant un marché locatif de plus en plus cher, une partie des ménages moins aisés pourraient se tourner vers les logements sociaux… si ceux-ci étaient disponibles! Or, ce secteur connait de graves retards dans la construction de nouvelles unités.

En tout, 9 000 unités approuvées dans les 25 dernières années n’ont pas vu le jour, principalement parce que les gouvernements n’ont pas ajusté à la hausse leurs subventions afin de tenir compte de la hausse des couts de construction, qui a atteint 58 % entre 2020-2021 et 2022-2023.

Cela a eu pour effet de limiter radicalement la réalisation de projets même lorsqu’ils étaient approuvés. Résultat : environ 37 000 personnes sont en attente d’une habitation à loyer modéré (HLM) au Québec.

Les couts élevés de la construction 

Ils affectent non seulement la réalisation de logements sociaux, mais découragent aussi les investisseurs à lancer des chantiers, particulièrement dans le secteur locatif.

Les entreprises soutiennent que les couts de la main-d’œuvre sont en grande partie responsables de la hausse des couts dans ce secteur. C’est d’ailleurs ce qui inciterait le ministre du Travail à moderniser la règlementation du travail dans ce secteur. Or, ce sont surtout l’explosion des couts d’emprunts et la forte inflation des prix des matériaux qui entrainent des répercussions.

La flambée des prix de l’habitation

La baisse du taux d’intérêt par la Banque du Canada durant la pandémie a eu un effet important sur la hausse des prix des maisons. Plusieurs ménages ont alors profité des taux très bas pour emprunter afin d’accéder à la propriété.

Les prix ont également été alimentés par l’épargne en hausse des ménages découlant des aides gouvernementales offertes durant la pandémie et par la réduction de la consommation lors des épisodes de confinement. La hausse de l’épargne qui en a résulté, conjuguée à un bas taux préférentiel, a mené à une croissance importante de la demande immobilière, excédant même l’offre.

Les cas de surenchère se sont alors multipliés pendant quelque temps, puis les couts de l’immobilier au Québec ont explosé. Entre décembre 2016 et aout 2023, le cout des logements neufs s’est accru de 42,4 %. Par exemple, un condo neuf de 300 000 dollars en décembre 2016 se vendait 427 200 dollars en aout 2023!

Malheureusement, quelques mois plus tard, devant une inflation galopante, la Banque du Canada a amorcé un rehaussement marqué des taux d’intérêt. Le taux hypothécaire au Canada est passé de 2,45 % en mars 2020 à 7,2 % en juillet 2023.

Les prix élevés de l’habitation, jumelés à une hausse marquée des taux d’intérêt, génèrent maintenant une augmentation sans précédent du cout de l’intérêt hypothécaire (+30,6 % sur un an). Devant cette situation, les propriétaires tentent, lorsqu’ils le peuvent, de refiler la facture aux locataires, alimentant ainsi la crise.

Quelles solutions?

Au cours des dernières décennies, les gouvernements ont réduit massivement leurs investissements en logements sociaux et se sont appuyés sur le marché privé pour assurer la bonification de l’offre de logements pour la population. Visiblement, cette stratégie ne fonctionne pas.

Que peuvent faire les gouvernements pour s’attaquer efficacement à la crise du logement?

Il est évidemment possible d’adopter des mesures pour stimuler la construction et l’offre de logements. Mais ces solutions seront loin d’être suffisantes. Le logement n’est pas un bien comme les autres. Le gouvernement doit reconnaitre qu’il est un droit fondamental et que le marché privé à lui seul est incapable d’offrir à toutes et tous un toit sur leur tête.

Les gouvernements fédéral et provincial ainsi que les municipalités peuvent et doivent :

  • Investir massivement dans la construction de logements sociaux. C’est d’ailleurs ce qu’ils faisaient auparavant.
  • Utiliser le droit de préemption. Ce dernier permet aux villes d’acheter en priorité des terrains et des immeubles pour y construire des logements sociaux ou abordables.
  • Rehausser l’aide aux coopératives d’habitation et aux entreprises d’économie sociale. Cela favoriserait la mise en œuvre de nouveaux projets, par exemple en facilitant l’utilisation des fiducies d’utilité sociale qui permettent de soustraire la valeur des terrains à la spéculation qui les touche.
  • Renforcer le contrôle des loyers. Cela permettrait de contenir plus efficacement leurs hausses. Les règles actuelles au Québec prévoient un certain encadrement, mais celui-ci s’avère peu efficace.
  • Préserver le parc locatif. En limitant les conversions, comme la transformation de duplex en maison unifamiliale ou en restreignant la location touristique de courte durée, cela permettrait de préserver les logements.

Bref, c’est par un ambitieux plan d’action déployé partout au Québec que le gouvernement provincial, aidé financièrement par le gouvernement fédéral, doit répondre à la crise du logement. La mise à jour économique qui sera déposée le 7 novembre 2023 donnera un aperçu de la volonté de la CAQ de s’attaquer réellement à la crise.

Malheureusement, le parti pris pro-entreprises privées de la CAQ, et plus particulièrement celui pro-propriétaires de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, ne laisse présager rien de bon. Il y a tout lieu de croire que le gouvernement de François Legault agira comme il l’a fait dans plusieurs autres dossiers, c’est-à-dire en injectant des sommes lui permettant de prétendre s’attaquer au problème tout en restant à des années-lumière des besoins réels.

Pour aller plus loin

Il a été question de la crise du logement dans l’épisode 2 de la deuxième saison du balado Prendre les devants. Écoutez l’épisode :

Prendre les devants | S2E2 – YouTube