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« Bar ouvert pour le privé » en éducation : les élèves paient la facture des compressions

11 septembre 2025

Des millions promis, mais impossibles à dépenser. En maintenant un plafond rigide d’embauches, le gouvernement du Québec pousse les écoles vers la sous‑traitance, créant un véritable « bar ouvert » au privé et fragilisant du même coup l’expertise publique. 

Par Félix Cauchy-Charest, conseiller CSQ

Les besoins en services professionnels dans les écoles du Québec (psychologues, orthophonistes, conseillères et conseillers pédagogiques, analystes en informatique, etc.) pourraient se transformer en un filon lucratif pour le secteur privé. C’est l’avertissement lancé par la Fédération du personnel professionnel de l’éducation du Québec (FPPE‑CSQ), qui dénonce les compressions imposées par Québec et le plafonnement des équivalents temps complet (ETC).

De l’argent promis, mais inaccessible 

Sur papier, le gouvernement a annoncé un réinvestissement de 570 millions $ pour calmer la grogne. En réalité, cet argent est « fictif », explique la présidente de la FPPE‑CSQ, Carolane Desmarais.

Pourquoi? « Parce que les centres de services scolaires doivent respecter un plafond rigide d’ETC. Même si des fonds sont disponibles, impossible d’embaucher davantage de professionnelles et professionnels. Résultat : les directions n’ont d’autre choix que de se tourner vers la sous-traitance », résume-t-elle.

Carolane Desmarais, présidente de la FPPE-CSQ

Plus chers, moins efficaces 

Ce mécanisme comptable, dénoncé comme un « piège » par la FPPE-CSQ, force les écoles à payer trois ou quatre fois plus cher pour des services qui, souvent, se limitent à des évaluations ponctuelles. « C’est comme mettre un plaster lors d’une hémorragie », illustre Carolane Desmarais.

Le contraste est frappant : un service professionnel privé peut coûter jusqu’à quatre fois plus cher que l’embauche du personnel du réseau public. Pour le même montant dépensé, les écoles obtiennent donc quatre fois moins de services. Une simple opération mathématique : moins de soutien pour les élèves, plus de pression sur les équipes‑écoles, et un gaspillage manifeste de fonds publics, selon la présidente de la FPPE-CSQ.

La qualité en souffre aussi. Les services privés se limitent souvent à des diagnostics, sans suivi, sans continuité et sans expertise du milieu. Les élèves repartent avec un rapport, mais sans accompagnement durable. Les parents et le personnel enseignant se retrouvent seuls avec le fardeau de transformer un rapport clinique en stratégie éducative.

Une iniquité grandissante 

Le recours au privé n’est pas non plus uniforme. Dans certaines régions, l’offre de services est limitée. Dans d’autres, elle repose sur des évaluations standardisées, parfois faites à distance. Conséquence : certains élèves obtiennent rapidement un diagnostic, tandis que d’autres demeurent coincés sur des listes d’attente.

« Les services professionnels les plus efficaces sont ceux offerts directement dans le milieu de vie de l’élève, en collaboration avec l’équipe-école », rappelle la présidente de la FPPE-CSQ. Or, ce modèle est menacé par une gestion purement comptable, qui traite l’éducation comme une dépense plutôt qu’un droit fondamental.

Décourager la relève 

Ce virage envoie aussi un mauvais signal aux jeunes professionnelles et professionnels. Pourquoi choisir le réseau public, avec ses conditions d’exercice difficiles, quand le privé offre des honoraires plus élevés… dans les mêmes écoles?

Déjà, les directions peinent à recruter des professionnelles et professionnels. Avec l’essor de la sous-traitance, elles risquent de voir leurs ressources migrer vers le privé, ce qui accentuera l’érosion de l’expertise publique, craint la FPPE-CSQ.

Un écran de fumée comptable 

Derrière le discours gouvernemental se cache un jeu de chiffres. Les postes vacants sont comptés comme étant « comblés » par des personnes absentes (maladie, congé parental, libération syndicale). « Sur le tableau de bord ministériel, le portrait est moins dramatique que sur le terrain, puisque, même si des postes y apparaissent comme comblés, dans les écoles, les services ne sont tout simplement pas rendus. Cette manipulation statistique permet au ministère [de l’Éducation] de prétendre que les besoins sont couverts alors qu’ils ne le sont pas », souligne Carolane Desmarais. 

Quand le privé gruge l’expertise publique 

Le cas des services informatiques illustre bien la dérive. Depuis des années, Québec confie d’importants contrats à des firmes privées, plutôt que de consolider l’expertise interne. Le même scénario menace aujourd’hui l’ensemble des services professionnels en éducation. « Quand on donne tout au privé, on n’en a pas pour notre argent », tranche Carolane Desmarais.

Un choix politique 

Difficile d’y voir autre chose qu’une stratégie délibérée. Comme le rappelle la leader syndicale, il s’agit d’un « choix politique clair : mettre de l’avant une gestion comptable des services publics et renforcer la perception que le privé est la solution ». Cependant, cette solution de façade a un prix : elle mine l’égalité des chances et compromet l’avenir de milliers d’élèves. Derrière chaque coupe, chaque plafond d’embauche et chaque contrat confié au privé, ce sont des enfants qui attendent, des parents laissés à eux‑mêmes et des équipes-écoles qui s’épuisent.

La FPPE-CSQ le répète : les services professionnels publics sont plus efficaces, plus accessibles et plus équitables. Il est urgent de lever les gels d’embauche, de remplacer les absences, de reconnaître l’expertise des professionnelles et professionnels et d’investir réellement dans celles et ceux qui travaillent déjà dans les écoles.

« L’éducation n’est pas une dépense à compresser : c’est un choix de société. Et ce choix doit être fait maintenant », conclut Carolane Desmarais.