Opinions

Baisses d’impôt : la population québécoise sera perdante

16 février 2023

Le texte est signé par 53 économistes et analystes des finances publiques *

Nous, 53 économistes et analystes des finances publiques, jugeons inappropriée, inéquitable et contreproductive la proposition du gouvernement québécois de réduire l’impôt des particuliers de quelque deux milliards de dollars. Afin d’affronter les diverses crises qui secouent actuellement les services publics et accélérer notre transition écologique, l’État doit plutôt conserver les ressources financières dont il dispose. Ces objectifs, garants du bien-être individuel et collectif, doivent prévaloir sur la réduction des contributions fiscales.

Le ministre des Finances Eric Girard a maintes fois réitéré son intention de réduire d’un point de pourcentage le taux d’imposition des deux premiers paliers de la table d’impôt (15 % et 20 %), les amenant respectivement à 14 % et 19 %. Pour les contribuables, la baisse d’impôt moyenne sera de 300 $. Pour les contribuables gagnant 100 000 $ et plus, elle pourra atteindre 810 $.

Dans un contexte où le coût de la vie est en hausse, une telle baisse d’impôt peut paraître alléchante. Pourtant, l’envers de la médaille d’une telle mesure est de priver le trésor public de deux milliards de dollars par année, une somme que le gouvernement pourrait utiliser pour investir davantage dans les services à la population, notamment en santé et en éducation. Les besoins sont criants : régler les crises permanentes vécues dans les urgences et dans les organismes communautaires; améliorer l’accès aux soins en santé mentale, répondre aux besoins des élèves en difficulté, créer des places en services de garde, assurer des soins de qualité aux personnes aînées; procéder aux investissements incontournables qui se font attendre pour accélérer la transition écologique. Voilà les priorités collectives que nous devrions nous donner.

Pour justifier sa proposition, le gouvernement affirme que la contribution fiscale de la population québécoise dépasse celle observée en Ontario. Cette comparaison nous apparaît bien incomplète. En effet, en dressant ce parallèle, on omet de mettre dans la balance d’autres composantes essentielles de la fiscalité. D’une part, et c’est un fait bien documenté, le Québec est beaucoup plus généreux que l’Ontario en ce qui a trait au soutien aux familles. D’autre part, les tarifs sont généralement plus élevés en Ontario : hydroélectricité (750 $ de plus par an), garderies (500 $ de plus), frais de scolarité (4 500 $ de plus), assurance automobile (800 $ de plus), etc. Une majorité de la population perdra au change si, à moyen terme, la baisse d’impôt doit être compensée par une augmentation des tarifs ou par un recours accru aux assurances privées.

Enfin, dans le contexte actuel d’incertitude économique provoqué par la réaction très musclée de la Banque du Canada pour freiner l’inflation, il nous semble imprudent de renoncer à des marges budgétaires si importantes.

En somme, face aux défis auxquels le Québec est confronté aujourd’hui, face à l’urgence de construire une société plus écologique et de consolider les services publics, il nous apparaît inapproprié de réduire les capacités d’intervention et de redistribution du gouvernement.

Liste des signataires :

Yves-Marie Abraham, professeur, HEC Montréal; François Aubry, économiste; Pierre Beaulne, économiste; François Bélanger, économiste, CSN; Vanessa Bevilacqua, conseillère à la recherche; Érik Bouchard-Boulianne, économiste, CSQ; Pierre-Alexandre Caron, économiste, SFPQ; Lise Côté, économiste, FTQ; Jean Dalcé, économiste, CSN; Alain Deneault, professeur et essayiste; Anyck Dauphin, professeure, UQO; François Desrochers, économiste, APTS; Jérôme Dupras, professeur, UQO; Francis Fortier, conseiller à la recherche, CSD; Jean-François Gauthier, professeur, HEC Montréal; Antoine Genest-Grégoire, économiste; Renaud Gignac, économiste; Louis Gill, professeur retraité, UQAM; Fréderic Hanin, professeur, Université Laval; Pierre-Antoine Harvey, économiste, CSQ; Philippe Hurteau, économiste, APTS; Olivier Jacques, professeur, Université de Montréal; Mario Jodoin, économiste; Vivian Labrie, chercheure; Julien Laflamme, économiste, CSN; Marie Langevin, professeure, UQAM; Raphaël Langevin, économiste; Robert Laplante, chercheur en économie, IREC; Marc Lavoie, professeur émérite, Université d’Ottawa; Louise Lavoie, chargée de cours en sciences économiques, UQAM; Joëlle Leclaire, professeure, Université SUNY Buffalo State; Marie-Hélène Legault, chargée de cours en sciences économiques, UQAM; Samuel-Elie Lesage, conseiller à la recherche, CSD; Julien Mc Donald-Guimond, économiste; Sylvie Morel, professeure associée, Université Laval; Keith Newman, économiste; Minh Nguyen, économiste; Normand Pépin, sociologue; Mathieu Perron-Dufour, professeur, UQO; Éric Pineault, professeur, UQAM; André Jr. Robichaud, enseignant, Cégep de Victoriaville; Louis-Philippe Rochon, professeur, Université Laurentienne; Ruth Rose-Lizée, professeure associée, UQAM; Jean-Philippe Roy; conseiller en innovation, Conseil de l’innovation du Québec; Gabriel Salathé-Beaulieu, économiste; Mario Seccareccia, professeur émérite, Université d’Ottawa; Lee Soderstrom, professeur associée, Université McGill; Martin St-Denis, économiste, Coop Interface; Pierre-Guy Sylvestre, économiste, SCFP; Diane-Gabrielle Tremblay, professeure, université TELUQ; Simon Tremblay-Pepin, professeur, Université Saint-Paul; Vincent Van Schendel, économiste; Nicolas Zorn, président, LAB impact.