Action féministe

Accroitre la participation syndicale des femmes : un pari réussi?

18 mars 2024

En 1974-1975, 66 % des membres de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) sont des femmes, mais leur taux de participation aux instances n’est que de 16 %. Si le pourcentage de représentation des femmes s’est amélioré au fil des décennies au sein de l’organisation – devenue depuis la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) – des défis persistent.

Par Julie Pinel et Audrey Parenteau, conseillères CSQ

La sous-représentation des femmes pousse la CEQ à créer, en 1974, une équipe-conseil constituée de 9 femmes pour soutenir la négociation du secteur public. Cette équipe a le mandat de recenser les situations de discrimination et d’exploitation vécues par les travailleuses du secteur de l’enseignement, et de sensibiliser les membres à la condition des femmes dans le cadre de la négociation.

Puis, en 1976, afin de mieux comprendre ce qui freine les femmes à participer aux instances de la Centrale, le comité Laure-Gaudreault (ancêtre du comité d’action féministe de la CSQ), en collaboration avec l’Université du Québec à Montréal et l’Université de Montréal, lance une vaste enquête auprès des membres féminines des syndicats affiliés, recueillant un peu plus de 8 000 témoignages.

Pour expliquer leur non-participation  aux instances, les répondantes évoquent plusieurs raisons, dont la double tâche d’épouse et de mère, la priorité donnée au travail ou encore l’absence de conviction syndicale. Fait intéressant, l’analyse des réponses permet de cerner l a principale entrave à la participation des femmes : la prise de parole en public.

Non, « les absentes n’ont pas tous les torts »

Le comité Laure-Gaudreault publie les résultats de cette enquête sur le militantisme féminin dans le document Les absentes n’ont pas tous les torts… On y apprend que les exigences de la vie syndicale sont peu compatibles avec la réalité des femmes et qu’il existe d’autres obstacles à leur participation, dont la culture de confrontation.

Pour le comité, il apparait important que les personnes syndiquées, la Centrale ainsi que ses instances fassent tout en leur pouvoir pour augmenter la participation des travailleuses à tous les niveaux. Les constats tirés de cette enquête serviront d’assise pour la poursuite des travaux sur le sujet.

Le célibat, une condition favorable?

Au cours des années 1980, la CEQ mène une autre enquête afin de brosser, cette fois, le portrait type de la militante et du militant. On constate  que le célibat semble être une condition favorable aux activités militantes des femmes, qui disposent par conséquent de plus de temps. Des écarts salariaux importants sont aussi mis en lumière : 74,7 % des militants gagnent un revenu de 30 000 $ par année, alors que seulement 46 % des militantes atteignent un tel salaire.

Des facteurs sociaux généraux – comme le manque de conscientisation face aux oppressions que les femmes subissent, la socialisation qui ne les prépare guère à un rôle ni à un engagement politique et social et la division genrée du travail – enrayent  la participation syndicale des femmes. L’enquête révèle cependant un autre obstacle : la structure de la CEQ et de ses syndicats affiliés reproduit le schéma « patriarcal » à l’intérieur même de l’organisation, notamment par la planification inadéquate des horaires et la charge de travail considérable que représente l’implication syndicale.

La prise de parole en public demeure également, comme lors de l’enquête précédente, la limite que les femmes peinent à surmonter dans leur implication syndicale.

Cette enquête donne lieu à l’adoption, au Congrès de la CEQ de 1984, à de nombreuses recommandations qui, au cours de la décennie suivante, feront l’objet de mesures intégrées au Programme d’accès à l’égalité syndicale (PAES).

La gouvernance démocratique au cœur des réflexions féministes

C’est donc en 1990 que le Congrès adopte une résolution en faveur du PAES. Le comité Laure-Gaudreault amorce une enquête statistique, indispensable à l’instauration d’un tel programme. Ce portrait des effectifs, intitulé La CEQ, c’est mon genre, est présenté au Congrès de 1992 et la déception est palpable : après des années de militantisme, les objectifs ne sont toujours pas atteints.

Le taux de représentation des femmes n’excède en aucun cas  50 % dans les instances de la CSQ. Elles ne détiennent que 40 % des postes au conseil exécutif et 41 % au conseil général.

Un recentrage s’impose 

En se basant sur la discrimination systémique, le Congrès de 1994 adopte le premier plan d’action pour l’égalité syndicale. Il compte 60 mesures pour contrer les barrières à la participation des femmes.

Le PAES a été bonifié au fil du temps. Depuis 2006, par exemple, la composition des comités repose sur la présence féminine. En 2018, le comité offre aux syndicats des outils pour faciliter l’implantation d’un PAES dans leur milieu. Des actions continuent d’être posées pour sensibiliser et aider les syndicats à parvenir à une représentation proportionnelle des femmes dans nos instances syndicales.

Accroitre la participation des femmes, un pari réussi?

Plusieurs ont décrit le PAES comme une inaccessible étoile, car l’objectif de représentation n’est pas encore atteint, et l’opposition aux postes réservés aux femmes ou aux mesures encourageant leur primauté demeure. Malgré ces critiques, les statistiques démontrent que les femmes prennent davantage leur place au sein de la Centrale.

En 1988, Lorraine Pagé est élue à la tête de la CEQ, devenant ainsi la première femme présidente d’une centrale syndicale au Québec. Depuis, trois autres femmes ont été élues : Monique Richard (2000 à 2006), Louise Chabot (2012 à 2018) et Sonia Ethier (2018 à 2021).

La règle accordant la préséance aux femmes dans les comités, introduite en 2006, a eu un effet positif : la représentation féminine s’est maintenue ou améliorée dans la presque totalité des comités, passant de 47,5 % en 2006 à 57,5 % en 2018.

Devant les défis qui persistent, le travail se poursuit pour démystifier les freins à la participation des femmes. Des outils continuent d’être élaborés et des mesures implantées pour accroitre leur présence dans les instances de la Centrale.