Syndicalisme

1981 et 2025 : quand l’histoire se répète

10 juin 2025

À l’automne 1981, le climat est tendu. À l’approche des négociations du secteur public, en pleine crise économique, Québec mène une réflexion sur l’encadrement du droit de grève pour en assurer un usage « modéré et civilisé ». Il souhaite aussi revoir la notion de services essentiels, introduite trois ans plus tôt dans le Code du travail. 

Par Catherine Gauthier, directrice-adjointe aux communications, CSQ

Une commission parlementaire aux objectifs controversés

Lors de la Commission parlementaire du travail et de la main-d’œuvre sur les moyens d’améliorer les négociations et l’exercice du droit de grève, en septembre 1981, le ministre du Travail affirme ne pas vouloir retirer le droit de grève aux employés de l’État. Toutefois, il insiste sur l’importance de calmer l’anxiété collective liée aux périodes de négociation. Selon lui, le bien commun doit prévaloir sur l’exercice du droit de grève.

La Centrale (la CEQ à l’époque) doute fortement des intentions réelles du gouvernement. Elle considère plutôt qu’il cherche à s’attaquer au droit de grève et appui sa démonstration sur :

  • les lois spéciales qui ont été imposées en 1972, 1976 et 1980;
  • les propos du premier ministre Lévesque, en novembre 1980, selon lesquels les grèves répétées et inévitables dans des services vitaux, comme les écoles et les hôpitaux, ont pris l’allure d’un mal incurable;
  • le discours gouvernemental qui encourage les personnes touchées par les grèves à se considérer comme de véritables otages.
  • les critiques visant les « privilèges » des employées et employés de l’État, qui bénéficient de la sécurité d’emploi et de salaires supérieurs à ceux du secteur privé, alors que la population subit la crise économique;
  • la perspective de l’opposition libérale, qui soutient un encadrement strict du droit de grève et qui veut donner plus de pouvoirs au gouvernement, y compris celui de le suspendre pour des motifs de santé, de sécurité publique ou de stabilité économique.
Nouvelles CEQ vol 2, no 2, 6 octobre 1981

Une contestation claire des justifications gouvernementales

Devant la commission parlementaire, la Centrale est catégorique: ce n’est pas le recours occasionnel au droit de grève (trois fois en dix ans) qui a nui aux services en éducation et en santé, mais plutôt les compressions budgétaires et les mesures autoritaires des gouvernements.

Du même souffle, la Centrale dénonce fermement toute tentative d’encadrer ou de limiter le droit de grève, notamment par l’imposition des services essentiels en éducation. À ses yeux, il s’agit d’un prétexte pour affaiblir la capacité des travailleuses et travailleurs à défendre leurs conditions de travail. Elle rappelle aussi que l’État, lui-même, ne garantit pas les services qu’il qualifie d’essentiels.

Les lendemains de la commission parlementaire

En 1982, le gouvernement modifie le Code du travail pour créer le Conseil des services essentiels, élargir les secteurs visés et imposer aux parties la négociation des prestations à maintenir. Doté de pouvoirs étendus, le Conseil doit, notamment, recommander les services à assurer, à partir de la liste syndicale, et démontrer que leur absence met en danger la santé ou la sécurité publique.

Par ailleurs, le gouvernement se réserve désormais le droit de suspendre une grève — qu’elle soit annoncée ou en cours — s’il estime que les services maintenus sont insuffisants pour protéger la santé ou la sécurité de la population. Les risques liés à l’éducation ou à l’économie sont exclus.

Une lutte actuelle dans la continuité du passé

La CSQ de passage en commission parlementaire dans le cadre des consultations sur le projet de loi 89.

Si les personnages changent et leurs propos se modernisent, le fond du scénario reste inchangé. L’actuel ministre du Travail reprend la vieille recette de son lointain prédécesseur. Avec son projet de loi no 89, il prétend vouloir assurer les besoins de la population en période de grève ou de lock-out alors, qu’en réalité, c’est le droit de grève qu’il vise directement.

Son objectif officiel? Éviter qu’un conflit de travail n’affecte de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes vulnérables. Mais, derrière cette façade, il s’attaque de manière frontale au droit de grève, en redéfinissant les services essentiels. En plus d’y introduire la notion du bien-être de la population à assurer, il élargit le champ des restrictions en y ajoutant les secteurs de l’éducation scolaire et collégiale.

Il va encore plus loin, en s’octroyant un pouvoir spécial, celui de suspendre une grève ou un lock-out, s’il juge qu’un conflit cause ─ ou pourrait causer ─ un préjudice grave à la population. Le tout est assorti d’une mécanique bien définie, à déployer au besoin dans les secteurs « hors loi 37 », soit les centres de petite enfance, le communautaire, les établissements d’enseignement privé et les universités, le secteur public étant épargné.

Comme par le passé, le gouvernement déclare qu’il est « très grave » qu’une grève prive les populations vulnérables des services dont elles ont besoin pour justifier sa manœuvre. Et, comme par le passé, il effectue des coupes dans ces services, privant du même coup ces personnes du soutien dont elles ont besoin.

Comme à l’époque, le gouvernement digère mal la dernière négociation du secteur public, marquée par une mobilisation et un appui populaire sans précédent depuis 40 ans. Et, comme à l’époque, il cherche à briser la lutte syndicale.

Mais aujourd’hui, comme hier, il nous trouve sur sa route, déterminés à mener la bataille pour défendre le droit fondamental à la grève ainsi qu’à lutter pour le maintien de notre capacité à établir un rapport de force essentiel à la négociation des conditions de travail de nos membres.

Depuis le printemps, vous avez été nombreuses et nombreux à répondre à nos appels à la mobilisation. Votre appui et votre engagement ont été précieux pour notre organisation, en particulier pour les membres du conseil exécutif et nos collègues qui ont mené la bataille en première ligne.

Un cadeau au patronat, une gifle aux travailleuses et travailleurs

Les leaders syndicaux lors d’une manifestation contre le PL89.

Malheureusement, le 29 mai 2025, le gouvernement a adopté son projet de loi no 89, ignorant délibérément les conséquences majeures qu’entraînera cette nouvelle législation. Ses effets dépasseront largement le cadre syndical: c’est toute la société qui en subira les contrecoups. Car nos luttes ─ et nos grèves─ ont toujours été des leviers de progrès collectif. Pensons à l’équité salariale, aux congés parentaux ou à la défense des services publics.

Ce projet de loi marque non seulement un recul, il cherche à assujettir les travailleuses et travailleurs au bon vouloir des employeurs, tout en flattant les intérêts du patronat et d’un conseil des ministres aux tendances antisyndicales.

Mais notre combat est loin d’être terminé. D’autres stratégies seront déployées, notamment sur le plan juridique. Nous avons la conviction que les restrictions au droit de grève ne résisteront pas à l’épreuve des tribunaux. Les constitutions canadienne et québécoise, tout comme l’arrêt Saskatchewan, sont claires : les droits syndicaux sont des droits constitutionnels. Et ces droits, nous continuerons de les défendre, ensemble, avec détermination.

Des perles de nos archives qui résonnent encore

Les extraits suivants sont tirés de notre mémoire Le droit de grève, outil de la démocratie et facteur de progrès social, présenté en 1981 lors de la Commission parlementaire du travail et de la main-d’œuvre sur les moyens d’améliorer les négociations et l’exercice du droit de grève :

« La capacité d’établir un rapport de force pour résister à l’exploitation, pour la faire reculer et éventuellement y mettre fin, c’est aussi assurer des services essentiels à la population. »

« Quand des travailleurs sortent pour s’opposer aux coupures du budget, c’est du même coup nos conditions de santé et d’éducation qui en bénéficient. Donc, la meilleure façon de protéger la qualité des services, c’est de défendre le droit de grève. »

« Le progrès social et le développement de nouveaux services, fruits des luttes des travailleurs, nous commandent de combattre non seulement toute tentative de restriction accrue de l’exercice du droit de grève, mais d’en revendiquer son élargissement et la possibilité d’y recourir quand la nature des problèmes rencontrés le nécessite. »

Quant aux extraits ci-dessous, ils sont tirés du tout premier numéro du magazine Nouvelles CEQ, publié en juin 1981. En raison des nombreuses attaques contre le droit de grève et de la commission parlementaire sur le sujet qui allait s’amorcer, plusieurs articles de cette édition y étaient consacrés. Nous en avons ciblé deux en particulier.

Au Québec, la grève interdite? – Bernard Blier conseiller CEQ [1980-1985]

« Les vieux préjugés antisyndicaux sont comme le chiendent: ils sont difficiles à déraciner. On me pardonnera d’autant mieux cette analogie que le bêchage et le sarclage retrouvent de nouveaux adeptes à chaque printemps. Un des préjugés qui infestent le champ de la culture syndicale au Québec concerne le droit de grève. 

[…]

Les patrons savent très bien, eux, que la grève est l’instrument le plus efficace dont disposent les travailleurs pour lutter pour des conditions de travail acceptables et des salaires décents. Ils savent très bien également que la grève est à l’origine de la reconnaissance par l’État des autres droits syndicaux (droit d’association, de négociation) et que les principales mesures sociales dont bénéficie l’ensemble de la population au Québec (assurance-chômage, assurance hospitalisation, assurance-maladie, instruction gratuite, etc.) sont le résultat des luttes du mouvement syndical et ouvrier. 

[…]

Cent ans après la « légalisation » de la grève, la lutte pour un véritable droit de grève demeure encore une des plus importantes pour le mouvement syndical et populaire. Sortons nos bêches pour déraciner le vieux chiendent de l’antisyndicalisme savamment entretenu par nos adversaires. Cultivons nos droits et nous récolterons la satisfaction de nos revendications. Personne ne le fera à notre place. » 

« Une loi qui se justifie de limiter les grèves en alléguant qu’elle limite de la même manière les lockouts est basée sur un sophisme; car le patronat peut contourner la loi et également la convention collective, en baptisant son lock-out d’un autre nom (« réduction » des investissements, fermeture d’ateliers « non rentables », « innovations » des techniques de production, etc.), tandis que le syndicat ne peut jamais organiser un arrêt concerté de travail sans qu’on y reconnaisse une grève ». 

Le magazine Nouvelles CEQ – parfois un brin provocateur – avait choisi de reproduire des passages de l’épilogue de La grève de l’amiante (Éditions du Jour inc., 1956 et réédité en 1970).