Quand l’organisation du travail manque sa cible
L’humain est un être rempli de vulnérabilité. Malgré le culte que nous vouons à l’autonomie et au « je me suis fait tout seul », la réalité est tout autre : nous sommes profondément interdépendants.
Pensons seulement à l’ensemble des soins et de l’accompagnement reçu au cours de notre vie : à la naissance, lors du développement de l’enfant, dans les moments où nous rencontrons des enjeux, dans les services éducatifs à la petite enfance ou encore dans les écoles, tous niveaux confondus. Ces milieux, mais surtout les personnes qui y travaillent, nous façonnent et influencent, de manière plus ou moins importante, ce que nous devenons.
C’est ce que nous appelons la socialisation. Et ce qui compte dans ce processus, ce n’est pas la durée de l’interaction, mais plutôt la qualité des échanges et des liens tissés avec l’ensemble de ces professionnelles et professionnels tout au long de notre vie.
Incidence de la naturalisation des compétences sur la valorisation des emplois
Les métiers du prendre soin et de l’accompagnement, occupés majoritairement par des femmes, sont encore trop souvent perçus comme un prolongement « naturel » de rôles maternels ou ménagers. Cette naturalisation tend à invisibiliser le travail réellement accompli, car elle sous-évalue les qualifications nécessaires, laissant croire qu’il s’agit de compétences innées plutôt qu’acquises.
Même si plusieurs de ces emplois se sont professionnalisés, cette naturalisation des compétences entraîne, encore aujourd’hui, une déqualification dans certains secteurs.
Des assouplissements concernant les qualifications requises ont également été appliqués en éducation, où certains membres du personnel enseignant ne sont désormais pas légalement qualifiés.
Ces exemples montrent que, malgré la professionnalisation de ces corps d’emploi, la pleine reconnaissance des compétences est difficile à obtenir, et l’importance des soins et de l’accompagnement sur les parcours de vie des personnes est difficile à reconnaître.
Des modèles d’organisation du travail inadaptés
Présente dans le monde du travail depuis les années 1990, la méthode Lean est très populaire au sein des entreprises.
« La « philosophie » de gestion Lean s’articule autour d’un principe de réduction constante et continue du gaspillage au sens large. Par différents moyens, il s’agit de déceler ces « perte » (au sein des processus de l’organisation, de la production, de la gestion des stocks, du transport, etc.) et de les éliminer autant que possible dans un contexte de flux tendu. Ce faisant, les performances de l’entreprise en seraient optimisées. »
Créée au Japon, chez Toyota, pour optimiser la production automobile, cette méthode d’organisation du travail repose sur une évaluation du travail prescrit, soit l’ensemble des tâches effectuées et la manière de les réaliser pour répondre aux besoins de l’employeur. Cette vision du travail, essentiellement mécanique, est souvent imposée par la direction.
Dans la réalité, la prestation de travail ne peut pas toujours correspondre à la description de tâches, surtout lorsque celles-ci se basent sur des besoins humains, changeants et contextuels, qui ne peuvent être standardisés.
Par exemple, une technicienne ou une éducatrice spécialisée intervenant auprès d’un enfant doit adapter ses interventions au contexte. Elle doit tenir compte de l’état de l’enfant : vit-il des moments difficiles? A-t-il pris sa médication? Est-il anxieux? Les réponses à ces questions varient d’une intervention à l’autre.
Parce qu’ils impliquent des humains, ces métiers ne peuvent se baser sur une seule formule. Ils reposent sur une multitude d’ajustements qui tiennent compte de l’unicité de l’individu ayant besoin de soins et d’accompagnement. Ces tâches, difficilement quantifiables, souffrent donc d’un manque de reconnaissance.
Remettre l’humain au cœur de ces emplois
Il importe donc de revoir les modèles d’organisation du travail qui perdent de vue l’essentiel : l’humain au centre de ces professions.
Entrevues avec des spécialistes sur le terrain
Lisa Boudreau, responsable d’un service éducatif en milieu familial à Mont-Joli
Manon Labrecque, enseignante d’histoire en 4e secondaire au Collège Letendre
Entrevues avec des spécialistes en recherche
Yves Hallée, professeur titulaire au Département des relations industrielles de la Faculté des sciences sociales à l’Université Laval
Angelo Soares, professeur titulaire au Département d’organisation et de ressources humaines à l’Université du Québec à Montréal
