Société

De la salle de classe au conseil municipal

27 octobre 2025

Deux enseignants et une enseignante au collégial ont choisi de faire le saut en politique municipale en vue des élections de novembre 2025. Animés par le désir de servir leur communauté, ils mettent leurs compétences au profit de la démocratie locale. Des parcours inspirants où enseignement et engagement citoyen vont de pair.

Par Anne-Marie Tremblay (collaboration spéciale)

Donner à la communauté

C’est par désir de se mettre au service du public que Lysandre St-Pierre* a décidé de se présenter en politique municipale. Originaire de la région de Lanaudière, la jeune femme s’est installée à Baie-Comeau, sur la Côte-Nord, en 2017, pour enseigner les sciences politiques au cégep. « Je suis arrivée seulement pour une session, mais je me suis sentie si bien accueillie que j’ai eu envie de rester », raconte-t-elle.

Lysandre St-Pierre (Photo : courtoisie)

Cette « énergie contagieuse » qu’elle a ressentie dans la communauté lui a donné le goût de donner au suivant, en s’impliquant politiquement : « Je voulais redonner à la communauté, alors que l’attraction et la rétention des nouveaux arrivants, c’est vraiment un enjeu important ici. » D’abord élue en 2021 comme conseillère du quartier Sainte-Amélie à Baie-Comeau, l’enseignante a décidé de se présenter à nouveau lors des élections de novembre.

Comme élue, elle s’est donné pour mission de porter au conseil municipal les enjeux de la transition socioécologique, pour une société plus verte et plus juste. Elle tente aussi d’accorder une place plus importante à la parole citoyenne. Dans ce second mandat, la candidate aimerait poursuivre certains projets, comme l’implantation de ruelles solidaires. « Comme il n’y a pas de parti politique au sein du conseil, cela me permet de conserver une certaine neutralité en classe en tant qu’enseignante », observe-t-elle.

Dynamiser la démocratie locale

C’est aussi pour défendre ces questions que Walter-Olivier Rottmann-Aubé* a décidé de se présenter comme conseiller municipal dans le quartier 6 de Gaspé. Une décision qui n’a surpris personne. Il faut dire que l’enseignant en sociologie au Cégep de la Gaspésie et des Îles est fortement engagé dans sa communauté, notamment à travers des projets de jardins et d’habitats collectifs ainsi qu’au café communautaire. Il a aussi présidé le conseil d’administration du Conseil Régional de l’Environnement de la Gaspésie pendant les deux dernières années.

Walter-Olivier Rottmann-Aubé (Photo : courtoisie)

Ces expériences lui ont démontré à quel point le fait de s’unir pour discuter collectivement enrichit les projets et les amènent plus loin : « Cela s’applique aussi à l’échelle municipale. Ensemble, nous pouvons trouver des idées intéressantes pour notre collectivité. » Le candidat plaide ainsi pour une démocratie locale plus participative, à travers des assemblées de quartier, des consultations publiques, etc.

« Le palier municipal, en tant que gouvernement de proximité, a un impact important sur le milieu de vie et sur le vivre ensemble, ajoute-t-il. De plus, les villes sont directement touchées par les changements climatiques, la crise du logement et l’insécurité alimentaire, si bien qu’elles doivent s’organiser. » Poussé par des valeurs environnementales et sociales, le candidat croit qu’une meilleure démocratie municipale « permettra à la communauté de faire face solidairement aux enjeux d’aujourd’hui et de demain. »

Changer les choses de l’intérieur

Professeur en travail social au Cégep de Rimouski, Philippe De Carufel* est lui aussi animé par ce désir de contribuer. En plus d’enseigner à temps partiel, il est également agent de mobilisation citoyenne à la Corporation de développement communautaire des Grandes-Marées et conseiller municipal à Notre-Dame-des-Neiges. Il a aussi fondé, il y a une dizaine d’années, Le grand cercle des Basques, une page Facebook d’entraide qui compte près de 10 000 membres.

Philippe De Carufel (Photo : courtoisie)

« Après plusieurs années à m’impliquer, j’avais envie de m’engager en politique pour changer les choses de l’intérieur et influencer le développement communautaire et culturel ainsi que les loisirs », explique-t-il. La préservation du patrimoine et de l’environnement lui tient aussi à cœur.

Philippe De Carufel a d’abord été élu une première fois en 2024 lors d’élections partielles, comme conseiller à Notre-Dame-des-Neiges, municipalité voisine de Trois-Pistoles. Il a toutefois hésité avant de se représenter. « Le travail à l’échelle municipale avance lentement et reste très opérationnel », constate-t-il. La création d’un nouveau parti politique, Équipe Horizon Citoyen, l’a toutefois convaincu de plonger à nouveau : « Je trouve cela très motivant d’avoir joint cette équipe, puisque nous partageons la même vision de solidarité, de démocratie citoyenne, que nous voulons redonner la parole aux gens. »

De la salle de classe au conseil municipal

Entre l’enseignement collégial et l’implication politique, plusieurs aptitudes se recoupent, notent-ils tous les trois. « Surtout au cégep, il faut créer un contact rapide avec les jeunes, car on ne les voit ni longtemps ni souvent, souligne Lysandre St-Pierre. Cette facilité à entrer en relation est très utile comme conseillère. » Inversement, sa connaissance fine des rouages municipaux lui permet d’enrichir ses cours, en organisant notamment des simulations de conseil de ville.

« Le simple fait d’être à l’aise de s’exprimer en public, de formuler des idées, d’évaluer la compréhension de nos messages, d’être à l’écoute est très utile, tant en classe, qu’au conseil municipal, renchérit Philippe De Carufel. Dans les deux cas, le contact humain est crucial. »

Les trois candidats ont aussi été — ou sont encore — actifs dans des syndicats affiliés à la Fédération de l’enseignement collégial (FEC-CSQ). Cette expérience leur permet de développer différentes compétences, notamment en mobilisation. « En exécutif, on représente l’ensemble des membres, pas seulement ceux avec qui on a des affinités, explique Walter-Olivier Rottmann-Aubé. C’est la même chose comme conseiller municipal : on a le devoir de représenter tout le monde, de leur donner la possibilité de participer, de s’assurer que leurs droits sont respectés. »

« Dans les deux cas, on se met au service de quelqu’un d’autre, d’une cause plus grande que soi », résume Lysandre St-Pierre.

Entre enseignement et politique : un équilibre à trouver 

Lysandre St-Pierre est reconnue pour sa forte présence sur le terrain. Pas question pour elle d’attendre les élections aux quatre ans pour avoir l’opinion de la population. Quand elle n’enfourche pas son vélo pour aller à la rencontre des citoyennes et citoyens, elle répond à leurs courriels, appels ou messages sur les réseaux sociaux. La conseillère sortante organise aussi des assemblées publiques quatre fois par année, en plus de résumer les grandes lignes des conseils municipaux sur les médias sociaux.

S’impliquer autant requiert beaucoup d’heures, alors qu’elle enseigne à temps plein au Cégep de Baie-Comeau. « C’était vraiment un tourbillon au début. C’est difficile de compartimenter ces différents rôles, car les citoyens peuvent me contacter à tout moment. » Depuis, elle a appris à composer avec le fait que cette responsabilité est toujours présente dans son esprit : « Plus on prend d’expérience, plus on maîtrise les dossiers. Il est alors plus facile de trouver l’équilibre. Cela devient un nouveau normal, en quelque sorte. »

Toutefois, la charge de travail varie selon l’implication de chaque élu, mais aussi de la taille de la ville. Ainsi, à Notre-Dame-des-Neiges qui compte 1 300 habitants, Philippe De Carufel consacre environ trois heures par semaine à ses fonctions. S’il est élu, Walter‑Olivier Rottmann-Aubé estime quant à lui qu’il devra consacrer au minimum une quinzaine d’heures par semaine à ses tâches de conseiller. Pour arriver à tout concilier, il prévoit mettre la pédale douce à certains de ses engagements pour alléger son horaire.

« En tant que prof au cégep, nous avons le privilège de pouvoir demander une réduction de temps de travail. C’est ce que je compte faire pour me rendre disponible comme conseiller municipal. » Le fait de vivre dans un habitat collectif, où l’entraide est quotidienne, rend aussi la tâche plus facile au candidat, aussi papa d’un enfant.

Quant à Lysandre St-Pierre, elle estime que ses horaires lui offrent la marge de manœuvre nécessaire pour concilier ces deux rôles. « Il faut dire que je n’ai pas d’enfant. C’est sûr que j’ai moins de temps pour mes activités personnelles, mais c’est un sacrifice que je suis prête à faire, affirme-t-elle. Car c’est tout un privilège de servir le public. »

Pour elle, pas question de laisser tomber l’enseignement – une autre façon de redonner à la communauté : « Je ne veux pas m’éterniser en politique, car je pense que c’est bien qu’il y ait du roulement, de nouvelles idées. J’espère plutôt être une bougie d’allumage, pour que d’autres continuent ensuite d’attiser le feu. »

Des modèles qui sortent du moule

Ces trois histoires montrent qu’il n’est pas nécessaire d’être à la retraite pour participer activement en politique municipale. Leurs parcours illustrent aussi qu’enseignement et engagement peuvent se nourrir mutuellement et inspirer les étudiantes et étudiants. « Je pense que c’est intéressant pour eux de voir que c’est possible », souligne Lysandre St‑Pierre.

« Une des façons d’être un acteur du changement social, c’est vraiment de s’impliquer dans sa communauté, lance Philippe De Carufel. C’est ce que je répète en classe. Maintenant, c’est moi qui l’expérimente! »

 

* Lysandre St-Pierre est membre du Syndicat du personnel enseignant du Cégep de Baie-Comeau (SPECBC-CSQ), Walter-Olivier Rottmann-Aubé, membre du Syndicat du personnel enseignant du Cégep de la Gaspésie et des Îles à Gaspé (SPECGIG-CSQ) et Philippe De Carufel, membre du Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep de Rimouski (SEECR-CSQ). Les trois syndicats sont affiliés à la Fédération de l’enseignement collégial (FEC-CSQ).