Savez-vous que le personnel de l’éducation et de la petite enfance est plus à risque de développer un trouble de la voix? Loin d’être banale, cette situation peut entrainer de multiples conséquences, d’où l’importance d’agir dès les premiers symptômes.

« En éducation et en petite enfance, la voix est très sollicitée, et ce, plusieurs heures par jour dans des conditions souvent loin d’être optimales. Le bruit, le stress et d’autres facteurs, comme une mauvaise ventilation ou qualité de l’air, constituent des irritants importants qui peuvent entrainer un trouble vocal », explique Ingrid Verduyckt1.

D’ailleurs, ce problème de santé est plus répandu qu’on pourrait le croire. « Les enseignants, par exemple, représentent de 20 % à 50 % des patients ayant des troubles de la voix, selon les études réalisées ici et dans d’autres pays occidentaux, contre de 6 à 15 % de la population. Les recherches démontrent également que de 20 à 30 % des enseignants ont déjà dû s’absenter du travail en raison d’un trouble vocal, contre de 0 à 5 % de la population », illustre-t-elle.

Mieux vaut prévenir…

Claudine Blouin

Et, bien que la profession enseignante figure parmi celles dont la voix est la plus sollicitée au travail, cet aspect est bien peu abordé lors de la formation des maitres.

« Contrairement aux acteurs de théâtre, par exemple, on n’enseigne pas aux futurs enseignants et enseignantes à projeter leur voix. L’hygiène vocale est très peu abordée. Cela est aussi vrai pour les autres disciplines de l’éducation ou de la petite enfance, dont les futurs diplômés verront leur voix grandement sollicitée au travail. Pourtant, la sensibilisation, en amont de la pratique, non seulement est essentielle, mais constitue une arme de prévention très efficace », poursuit-elle.

Claudine Blouin2 abonde dans le même sens : « Les étudiantes et étudiants qui se destinent à une profession liée au monde de l’éducation ou de la petite enfance doivent être conscients, dès leur formation initiale, que leur voix sera leur principal outil de travail et qu’ils devront en prendre soin tout au long de leur carrière. Ils doivent apprendre les principes d’une bonne hygiène vocale et les techniques de projection de la voix, être sensibles aux conditions acoustiques de leur travail et conscients de l’importance de consulter dès les premiers symptômes. »

Selon elle, il serait aussi avisé d’offrir aux éducatrices en petite enfance ainsi qu’au personnel de soutien, enseignant et professionnel des réseaux scolaires et de l’enseignement supérieur, des ateliers de projection et d’hygiène vocale.

« Un atelier d’une demi-journée réunissant une orthophoniste et dix personnes, par exemple, serait très efficace. Cela permettrait de les sensibiliser à l’importance de la respiration, de la respiration synchronisée avec la phonation et de la posture, en plus de les informer des bonnes pratiques pour protéger leur voix et des pièges à éviter. »

Les femmes plus touchées?

Si les travailleuses et travailleurs de l’éducation et de la petite enfance, en début de carrière, constituent un groupe plus à risque en raison de leur degré d’expérience professionnelle, la prévalence des troubles vocaux augmente avec l’âge pour atteindre un sommet chez les 50 à 59 ans.

De façon générale, les femmes sont plus sujettes à développer un tel trouble, en raison notamment de la constitution de leur larynx et de la vitesse à laquelle leurs cordes vocales vibrent.

« Nos cordes vocales ressemblent à des petites membranes qui s’ouvrent et se ferment à une vitesse incroyable lorsque nous parlons. Si l’on est une femme, nos plis vocaux entrent en collision, en moyenne, 220 fois par seconde, alors que si l’on est un homme, ils vibrent 100 fois par seconde. À force de s’entrechoquer, cela crée des microtraumatismes, et la muqueuse s’abime », explique Ingrid Verduyckt.

Un marathon désastreux

Elle précise que, plus nous parlons aigu, plus nos plis vocaux vibrent rapidement, ce qui augmente d’autant les entrechoquements. De la même façon, plus nous parlons fort, plus la vibration est ample et plus la force de l’impact est grande, ce qui entraine davantage de blessures.

« À tout cela s’ajoute le fait que, plus nous parlons longtemps, plus nos cordes vocales parcourent une grande distance. Il faut savoir qu’en mesurant et en additionnant chacune de ces vibrations – on parle de millimètres –, la science a établi la dose vocale quotidienne recommandée, soit 500 mètres. Or, les études ont démontré que les cordes vocales du personnel enseignant parcourent, en moyenne, près de 4 kilomètres par jour! », illustre la chercheuse.

Ce stress mécanique très important peut entrainer une série de symptômes : raclement de gorge, enrouement, tensions au cou, sensation de sècheresse ou de douleur à la gorge, voix plus aigüe ou voilée, difficulté à être entendu ou à parler fort, fatigue vocale, perte de voix, etc.

Si rien n’est fait, l’inflammation présente sur les cordes vocales pourrait faire place à de l’œdème, à un nodule ou à un polype, par exemple. Mieux vaut être vigilant, éviter de forcer sa voix et, surtout, ne pas tarder à consulter.

Garderies et écoles : une limite sonore à ne pas franchir

Sans surprise, les classes et les services de garde sont des milieux bruyants, mais jusqu’à quel point? Des études menées au Québec et ailleurs ont observé que l’intensité sonore dans les services de garde en milieu familial et en installation fluctue, en moyenne, entre 56 et 71 dB, avec des pointes frisant les 80 à 95 dB. Dans les classes, le portrait est similaire, l’intensité du bruit variant entre 57 et 70 dB, avec des pointes jusqu’à 97 dB, alors que dans les salles du personnel, il peut atteindre 64 dB.

Ces niveaux sonores peuvent-ils avoir un effet sur la voix? Ingrid Verduyckt est catégorique : « Plus il y a du bruit dans une salle, plus nous sommes portés à élever notre voix et plus notre tonalité devient aigüe, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur nos plis vocaux. Au-delà de 60 dB, notre bienêtre est aussi affecté. Nous sommes plus irritables, nerveux et fatigués. »

Le bruit, nuisible à l’apprentissage?

En plus de nuire à la voix du personnel, le bruit compromet aussi les processus d’enseignement et d’intelligibilité, tout comme les apprentissages.

« Pour apprendre, il ne suffit pas de reconnaitre des mots, il faut aussi les comprendre. Lorsque l’on entend des mots, tout un travail cognitif est réalisé pour assimiler le message transmis. Or lorsqu’il y a du bruit, le cerveau doit faire un effort supplémentaire pour isoler les mots importants et saisir le message », poursuit la chercheuse.

Les enfants sont d’ailleurs plus à risque d’être affectés par le bruit, tout comme les personnes malentendantes, ayant un trouble de l’apprentissage ou dont la langue d’enseignement est leur langue seconde.

« En plus d’altérer la voix du personnel, l’exposition au bruit a aussi des conséquences, à long terme, sur l’organisation cérébrale du processus de contrôle de l’attention chez les enfants. Des études montrent aussi qu’une voix dysphonique peut avoir des effets sur la compréhension et la rétention de l’information chez les élèves », enchaine-t-elle.

À tout cela s’ajoute la façon dont les enfants perçoivent les individus ayant un trouble de la voix. « À leurs yeux, ces personnes sont moins intéressantes, moins belles, moins sympathiques, moins gentilles… Si l’on est enseignant, psychologue, éducatrice en petite enfance ou technicien en éducation spécialisée, par exemple, il faudra travailler beaucoup plus fort, sur tous les autres plans, pour obtenir la sympathie des enfants », illustre Ingrid Verduyckt.

Quand s’inquiéter? Quand consulter?

Il est essentiel de consulter un médecin lorsque les pertes de voix durent plus de quelques jours.

« Le cas typique est la personne qui constate, durant sa première année de pratique, que le soir, sa voix est fatiguée. Au fil du temps, il lui faudra plus de périodes de repos pour retrouver sa voix : une nuit de sommeil, un weekend, une semaine de vacances… jusqu’à ce que plus rien n’y fasse. Malheureusement, une fois ce stade atteint, son trouble sera plus difficile à traiter », prévient Ingrid Verduyckt.

Ingrid Verduyckt

Claudine Blouin précise que, si la fatigue vocale persiste, qu’elle s’accompagne d’une perte de voix ou que cette dernière devient éraillée, il est important de consulter un ORL. « Cette étape est cruciale pour établir le bon diagnostic. Il est essentiel d’obtenir des traitements en orthophonie pour régler de façon durable son trouble vocal. Il ne faut pas hésiter à en faire la demande au médecin. »

CNESST : une réclamation essentielle

Lorsqu’il est établi qu’une surutilisation de la voix au travail a engendré un trouble vocal, ce dernier devient une lésion professionnelle. Mélanie Baril3 insiste sur l’importance d’obtenir une attestation écrite du médecin traitant, de consulter son syndicat avant de remplir la Réclamation du travailleur de la CNESST (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) et de poursuivre la démarche avec son syndicat afin d’être bien représenté.

« Le règlement sur l’assistance médicale reconnait qu’une victime d’accident de travail peut avoir accès, durant son invalidité, à des séances d’orthophonie payées par la CNESST et peut également bénéficier d’aide technique à la communication – sur autorisation préalable de la Commission. La travailleuse ou le travailleur qui subit une atteinte permanente due à sa lésion pourrait également obtenir de l’équipement spécialisé, comme un amplificateur de voix, à titre de mesure de réadaptation », explique-t-elle.

Un trouble irréversible?

Qu’advient-il si notre voix nous fait défaut depuis longtemps? Est-il trop tard pour consulter? Claudine Blouin répond sans hésiter : « On n’est jamais perdant lorsqu’on va consulter. On ne récupèrera peut-être pas notre voix d’il y a 20 ans, mais on améliorera certainement notre vie. S’il s’agit d’un ancien nodule, la thérapie ne sera peut-être pas suffisante pour corriger le problème. Toutefois, s’il s’agit d’un nodule plus récent ou d’une mauvaise projection vocale, la thérapie améliorera grandement la qualité de la voix. Et cela n’a pas de prix. »


1 Ingrid Verduyckt est professeure à l’École d’orthophonie et d’audiologie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Elle était la conférencière invitée au Réseau SST de la CSQ, en juin 2017.
2 Claudine Blouin est orthophoniste et membre du Syndicat du personnel professionnel des commissions scolaires de la région de Québec (SPPRÉQ-CSQ).
3 Mélanie Baril est conseillère SST à la CSQ.