Douze ans après sa séparation, Miriam* se rappelle très bien la violence psychologique que son ex-conjoint lui faisait subir. Si cette violence était présente pendant leur relation, elle s’est intensifiée lorsque la jeune femme, alors dans la trentaine, a décidé de quitter son partenaire des 10 dernières années et de partir de la maison.

« Il n’arrêtait pas d’appeler sur mon cellulaire et au travail. Si je ne répondais pas, alors il appelait chez mes parents, chez mes amis, il me harcelait et le faisait aussi avec mon entourage. Il pouvait m’appeler une quarantaine de fois par jour et m’envoyer autant de textos, sinon plus », raconte-t-elle.

Miriam se souvient aussi du ton agressif qu’employait toujours son ex-conjoint au téléphone et des menaces « de lui faire la peau », de lui enlever la garde de son fils ou de « se débarrasser » du chien familial. « Il m’a déjà appelé au bureau pour me dire qu’il était à deux doigts de se suicider, dit la jeune femme. Un soir, après le travail, il m’attendait dans le stationnement du bureau à côté de ma voiture pour "régler ses comptes" avec moi. Cette fois-là, j’ai eu vraiment peur de lui. »

L’employeur de Miriam comprenait qu’elle vivait une situation difficile et il s’est montré compréhensif et accommodant. « Il me laissait discuter avec mon avocate pendant mes heures de travail, il a fait changer mon numéro de poste pour que mon ex ne puisse plus me joindre et, après l’incident dans le stationnement, il a demandé au gardien de sécurité de l’immeuble de m’accompagner jusqu’à ma voiture tous les soirs après le travail », explique-t-elle.

Des répercussions sur les collègues 

Pour plus de la moitié des personnes qui en subissent, la violence conjugale se poursuit jusqu’en milieu de travail. Elle peut avoir des effets collatéraux sur les collègues en contribuant, notamment, à l’augmentation de leur charge de travail, du stress, des inquiétudes ainsi que des frustrations face à la situation.

Miriam s’est toujours fait un devoir de reprendre les heures de travail qu’elle avait passées à gérer sa situation familiale pour éviter que ses collègues écopent de sa charge de travail. « Mais c’est certain que j’étais moins productive. Certains de mes collègues, qui étaient aussi des amis, étaient très préoccupés, mais ils ne savaient pas trop quoi faire pour m’aider », se souvient-elle.

Sensibiliser les milieux de travail

« L’ensemble des acteurs du milieu de travail doit se mobiliser pour soutenir les victimes et agir en prévention afin de favoriser des environnements sains et sécuritaires tant pour les victimes que pour le personnel », est-il mentionné dans la trousse Agir ensemble – La violence conjugale, c’est aussi notre affaire! conçue par la CSQ. Destinée principalement aux syndicats, mais aussi à toute personne touchée de près ou de loin par une situation de violence conjugale, cette trousse vise à donner les outils nécessaires pour soutenir les victimes et agir syndicalement.

« Lorsque de la sensibilisation est faite en milieu de travail, les collègues sont alors mieux outillés pour détecter la violence conjugale et maintenir le lien de confiance avec les victimes. Ils savent alors reconnaitre les différentes manifestations de ce type de violence et déceler des situations potentiellement problématiques », explique la conseillère à la condition des femmes à la CSQ, Julie Pinel.

Toutefois, qu’il s’agisse des collègues, du personnel des ressources humaines, des personnes intervenantes, des employeurs ou des responsables syndicaux, tout le monde détient une responsabilité individuelle et doit agir quand il soupçonne, sait ou devrait raisonnablement savoir qu’une personne vit de la violence conjugale.

Entre obligations légales et mesures volontaires 

Les employeurs ont des obligations légales en matière de violence conjugale. Outre les mesures prévues dans les lois fédérale et provinciale du travail, la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) exige explicitement des employeurs qu’ils agissent en prévention.

Au Québec, la Loi sur les normes du travail établit les bases des jours de congé auxquels ont droit les victimes : 2 jours d’absence rémunérés après 3 mois de service, jusqu’à 26 semaines d’absence non rémunérées à prendre sur une période de 12 mois et jusqu’à 104 semaines d’absence non rémunérées si la victime a subi un préjudice grave.

Comparativement aux autres provinces canadiennes, le Québec fait toutefois piètre figure concernant le nombre de journées d’absence payées. D’autres provinces offrent jusqu’à cinq jours payés. « Une revendication est actuellement portée par l’Intersyndicale des femmes afin d’augmenter ce nombre à 10 », affirme la première vice-présidente de la CSQ, Line Camerlain.

En attendant, au-delà du cadre légal, les employeurs devraient mettre en place un programme d’information et de sensibilisation du personnel qui pourrait prévoir, par exemple, une offre de formation et d’ateliers pendant les heures de travail afin de sensibiliser les travailleuses et les travailleurs à la violence conjugale.

Les employeurs devraient également établir, conjointement avec le syndicat, une politique en matière de violence conjugale qui prévoit différentes mesures pouvant faire l’objet de clauses de convention collective, par exemple la mise en place de dispositions d’accommodement pour les victimes ou l’absence de mesures disciplinaires même si la situation a une incidence sur leur assiduité ou leur rendement au travail.

Des mesures d’accompagnement possibles

Un employeur peut proposer des mesures supplémentaires qui feront une grande différence dans le soutien apporté à une victime. Par exemple :

  • Modification du numéro de téléphone au travail;
  • Éloignement du poste de travail des zones visibles du public;
  • Autorisation d’entrer dans les bureaux par une autre porte que celle de l’accueil;
  • Modification des tâches;
  • Flexibilité de l’horaire de travail;
  • Permission de rencontrer la police, des personnes intervenantes ou encore une avocate ou un avocat pendant ses heures de travail.

Écouter sans juger

Une ou un collègue vous confie vivre de la violence conjugale? Même si elle dénonce sa situation, cette personne pourrait ne pas vouloir quitter sa relation ni entamer les démarches pour obtenir de l’aide. Si la victime reste avec son agresseur, c’est que la situation ne doit pas être si grave, pensez-vous?

« Malheureusement, on banalise souvent les contextes de violence conjugale en rejetant le blâme sur la victime. Ce sont toutefois des situations graves et complexes. Quitter un partenaire violent peut s’avérer même très dangereux pour une victime », affirme Julie Pinel.

Dans une telle situation, l’important est de respecter la victime dans son cheminement, peu importe si sa décision est de reprendre sa relation avec son agresseur ou de ne jamais le quitter.

« La meilleure façon de soutenir une personne qui subit de la violence conjugale est d’identifier les dangers, de la sensibiliser aux ressources disponibles, de l’écouter et de respecter son rythme », conclut Line Camerlain.

* Prénom fictif. Miriam a requis l’anonymat.