Caroline Savoie1 enseigne à Mascouche. Elle observe que de plus en plus d’élèves arrivent en maternelle avec des difficultés d’adaptation importantes, ou des problèmes majeurs de comportement.
« On a l’habitude de travailler avec des élèves qui ont des difficultés. On sait davantage comment accompagner un élève dysphasique ou ayant un trouble du spectre de l’autisme. Par contre, on voit de plus en plus d’élèves qui ont de graves problèmes de comportement. Des élèves qui font des crises, qui frappent, qui sont violents. »
Elle estime que le ratio maitre-élèves est trop élevé. « Quand un élève en trouble d’opposition fait une crise et qu’il faut sortir le groupe de la classe, cela provoque beaucoup d’anxiété chez les autres élèves. Pour certains, ça devient vraiment anxiogène, et ils n’ont plus envie de venir à l’école. D’autres élèves, plus discrets, n’auront malheureusement pas toute l’attention qu’ils méritent. »
Nathalie, qui enseigne dans la région de Québec, abonde dans le même sens : « On peut avoir des élèves qui se cachent ou qui se sauvent, d’autres qui ne sont pas propres… Dans un contexte où on refuse d’offrir les services nécessaires, au minimum, on ne devrait pas avoir plus de quinze élèves dans nos classes. »
Des services anémiques
« Toutes les enseignantes du préscolaire ont en tête des années épuisantes, passées à préparer des dossiers et à demander de l’aide sans en obtenir. Alors, quand nous nous retrouvons devant un groupe difficile à la rentrée, c’est extrêmement décourageant. Nous sommes conscientes de tous les efforts que nous devrons déployer pour que nos élèves obtiennent des services qui n’arriveront qu’à la fin de l’année ou au cours des années suivantes. Nous vivons un grand sentiment d’impuissance! », confie Nathalie.
Du même souffle, elle ajoute : « Souvent, deux ans plus tard, certains élèves obtiennent une place dans une classe spéciale. Ça laisse parfois un gout amer, car nous avons l’impression de nous être essoufflées à essayer de répondre à leurs besoins et à ceux des autres, sans que nos demandes aient été entendues. »
Un très grand cri du cœur
Ces témoignages sont loin d’être uniques, comme le révèle une enquête nationale réalisée auprès de plus de 1000 enseignantes et enseignants du préscolaire, au printemps 2017, par la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).
« Ce qui est clairement ressorti dans les commentaires recueillis, c’est la souffrance manifestée par les enseignantes et enseignants. Plusieurs mentionnent être à bout de souffle, à bout d’énergie et laissés à eux-mêmes. Ils ont l’impression de ne pas pouvoir aider tous les élèves, de manquer de temps », explique Sylvie Théberge2.
Les résultats de l’enquête sont également très éloquents. En effet, plus de 98 % des enseignantes et enseignants sondés estiment qu’il y a un nombre croissant d’élèves ayant des difficultés complexes et représentant des cas lourds dans les classes du préscolaire.
De plus, 98,6 % croient que le maximum d’élèves par groupe est trop élevé pour répondre adéquatement aux besoins de chacun. Enfin, près de 97 % affirment qu’il est difficile d’obtenir des services d’appui pour répondre aux besoins des élèves (orthophonie, psychologie, ergothérapie, etc.).
« On sonne l’alarme, mais il n’y a pas de services pour nous! Il n’y a pas assez de ressources pour le primaire, donc il reste tout juste des miettes pour le préscolaire... On fait des demandes, mais on a parfois l’impression de ne pas être crues. Souvent, on nous demande d’attendre sous prétexte que le problème va disparaitre lorsque l’enfant aura gagné en maturité ou on nous rappelle que le préscolaire n’est pas obligatoire », ajoute Caroline Savoie.
Tous les élèves sont touchés
Le manque de ressources pour soutenir le personnel et les élèves ne nuit pas qu’à celles et ceux qui sont aux prises avec des difficultés.
« Lors de notre enquête, plusieurs profs ont mentionné vivre un conflit éthique important, celui d’abandonner certains élèves au détriment d’autres, et de ne pas être en mesure de soutenir le plein potentiel de chaque élève en raison du nombre élevé d’élèves à besoins particuliers et du manque de ressources », poursuit la leader syndicale.
« On réclame depuis longtemps un dépistage précoce et une intervention rapide auprès des élèves à risque ou en difficulté. Nous sommes heureux que le ministre en ait fait une priorité dans sa nouvelle Politique de la réussite éducative, mais pour l’instant, les bonnes intentions ne se sont pas manifestées dans les écoles. Il y a urgence d’agir, les enseignantes et enseignants sont à bout de souffle! », conclut-elle.
1 Caroline Savoie est membre du Syndicat de l'enseignement de la région des Moulins (CSQ).
2 Sylvie Théberge est vice-présidente de la FSE-CSQ.