Alors qu’on assiste à une plus grande intégration dans les classes ordinaires des élèves vivant avec un handicap, des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation, à la diminution des services justifiée par une pseudoaustérité et aux ajouts constants de contenus pédagogiques, on peut affirmer que la tâche des enseignantes et enseignants s’est complexifiée au fil des ans. Le personnel est essoufflé, pour ne pas dire épuisé.

Nouveaux programmes au secondaire et au préscolaire, anglais intensif, éducation à la sexualité, etc. : de nombreux changements et du nouveau contenu sont venus allonger la liste de ce qui doit être couvert en une seule année. « En additionnant tout ce qu’il y a à faire, ce n’est pas juste compliqué d’atteindre les objectifs prévus pour chacune des disciplines ou chacun des domaines généraux de formation, c’est tout simplement impossible! J’aurais besoin de patins à roues alignées à l’école comme à la maison pour pouvoir y arriver! », s’exclame Karine1.

Des besoins individuels à combler

Comme si ce n’était pas suffisant, les enseignantes et les enseignants doivent également répondre aux besoins de plus en plus individualisés des élèves qui composent leurs classes. « Avant, j’enseignais à des groupes. Maintenant, j’enseigne aux individus qui composent mes groupes. J’enseigne donc de façon différente à 120 élèves », affirme Annick2.

Les mesures adaptatives pour contourner les difficultés d’apprentissage de certains élèves, et ainsi favoriser leur réussite éducative, sont nombreuses. Certains jeunes ont droit à des ordinateurs portables, d’autres à un tiers de temps supplémentaire ou encore à un local différent pour terminer un examen. Toutes ces mesures doivent être gérées par le personnel enseignant. Ce sont également les profs qui doivent effectuer les mises à jour des ordinateurs lorsque le technicien en informatique est absent, chercher un local libre pour l’élève et trouver aussi une personne pour l’y accompagner.

« Je dois répondre aux besoins individuels des élèves, qu’ils aient ou non un plan d’intervention ou un diagnostic », poursuit Annick. Tout comme ses collègues, elle doit guider les jeunes le mieux possible dans l’apprentissage du contenu, mais aussi leur enseigner différentes stratégies pour étudier, trouver les informations importantes dans un texte, gérer leur horaire, transférer leurs apprentissages d’une matière vers une autre, etc. « Les enfants ont des besoins auxquels le milieu scolaire doit répondre, et la responsabilité repose trop souvent sur les épaules des enseignants », ajoute-t-elle.

98%
DES ENSEIGNANTES ET ENSEIGNANTS
considèrent que la gestion des différentes mesures d’adaptation ou de modifications préconisées par le ministère complexifie et alourdit leur travail.

Une conciliation difficile

Trop souvent, l’école suit le personnel enseignant à la maison. « Pour répondre aux besoins de chaque élève, le travail d’équipe est nécessaire, mais demande du temps, une denrée qui se fait plutôt rare. C’est impossible de tout accomplir dans un horaire de 32 heures de travail par semaine, de là l’obligation de travailler à la maison », explique Annick. Il faut notamment préparer des activités, corriger des copies, lire les nombreux courriels professionnels et de parents et y répondre, etc.

Karine aussi travaille les soirs et les fins de semaine pour achever tout ce qu’il y a à faire. « D’autres enseignantes comme moi décident de s’amputer de 20 % de leur tâche, et donc de leur salaire, pour faire tout ce qui est exigé et pour pouvoir concilier le travail et la famille », ajoute-t-elle.

Des ressources nécessaires

Au total, 98 % des personnes qui ont répondu à la consultation menée par la FSE-CSQ3 en préparation du colloque Maître de sa profession, qui a eu lieu en mai dernier, considèrent que la gestion des différentes mesures d’adaptation ou de modifications préconisées par le ministère complexifie et alourdit considérablement le travail au quotidien.

Pour dégager les enseignantes et enseignants, plus de services seraient nécessaires, par exemple en orthopédagogie ou en éducation spécialisée. Mais, surtout, c’est de temps dont le personnel a besoin afin de pouvoir discuter avec les collègues et les autres professionnels dans le but d’organiser les différentes mesures d’adaptation.

« En additionnant tout ce qu’il y a à faire, ce n’est pas juste compliqué d’atteindre les objectifs prévus pour chacune des disciplines ou chacun des domaines généraux de formation, c’est tout simplement impossible! »
- Karine, enseignante au primaire

Reconnaitre l’expertise

Les ressources se faisant rares, le personnel enseignant se fait plutôt proposer des méthodes pédagogiques. L’imposition d’approches, de méthodes, de modes, de tâches et de contenus supplémentaires vient consigner le non-respect de leur expertise et de leur jugement. Cela provoque une perte de leur sentiment de compétence. Les enseignantes et enseignants se sentent alors davantage comme des exécutants que comme des professionnels de la pédagogie.

D’ailleurs, les résultats de la consultation de la FSE-CSQ démontrent clairement que l’autonomie professionnelle est importante à leurs yeux. De façon quasi unanime, les personnes qui ont répondu au sondage ont mentionné souhaiter que les moyens retenus pour atteindre les objectifs et les cibles des projets éducatifs respectent leur autonomie quant aux choix des approches et des méthodes pédagogiques à utiliser.

« Si la valorisation de la profession enseignante passe par de meilleures conditions salariales, elle passe aussi grandement par le respect de l’expertise et du jugement professionnel », estiment Annick et Karine. Les deux enseignantes sont également unanimes : le soutien, l’écoute, la compréhension et le respect de la direction d’école à l’égard de leurs compétences font toute la différence. Les relations de travail à l’école et avec la commission scolaire doivent aussi être humaines et respectueuses.

La valorisation de la profession enseignante doit s’accompagner de meilleures conditions d’enseignement qui, elles, auront pour effet de donner le temps et une bouffée d’air aux enseignantes et enseignants pour mieux accompagner leurs élèves et ainsi favoriser réellement leur réussite éducative.

« Avant, j’enseignais à des groupes. Maintenant, j’enseigne aux individus qui composent mes groupes. J’enseigne donc de façon différente à 120 élèves »
- Annick, enseignante au secondaire

Avec la récente annonce du ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur concernant l’ajout de deux récréations obligatoires de 20 minutes par jour, il y a lieu de se questionner : le réflexe de toujours demander plus aux enseignantes et aux enseignants, et ce, sans les consulter finira-t-il par s’amenuiser?

Dans le cas contraire, il y a fort à parier que le personnel enseignant continuera de sentir qu’il porte l’école à bout de bras.


1 Karine est enseignante au primaire et Annick au secondaire dans des écoles de la grande région de Québec. Pour pouvoir s’exprimer librement, toutes deux ont requis l’anonymat.
2 Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).