Avant les cégeps, nos choix étaient limités, soit secrétaire, infirmière ou enseignante. L’offre de programmes nous a permis de rêver à un avenir différent, de plonger et, pour plusieurs, de poursuivre jusqu’à l’université, se remémore Hélène Lee-Gosselin1.

« La création des cégeps illustre bien l’effervescence de la Révolution tranquille. Entre l’explosion démographique, les transformations économiques et les revendications pour plus de justice sociale, de nombreux ingrédients étaient réunis pour implanter d’importantes réformes éducatives, notamment pour les filles », ajoute Lucie Piché2.

L’arrivée des filles

Au départ, la population étudiante est largement masculine, mais rapidement les inscriptions féminines grimpent à 43 %, dès la rentrée de 1971, pour atteindre près de 50 % en septembre 1979. Au début des années 1990, les femmes sont désormais majoritaires dans la presque totalité des disciplines.

Aujourd’hui, elles représentent 57 % de la population étudiante. Parmi elles, des femmes monoparentales ou issues de l’immigration font partie de la clientèle adulte.

« Elles veulent obtenir un diplôme ou en faire reconnaitre un obtenu à l’étranger. Elles ont des vies incroyables et font preuve d’une très grande persévérance. Je pense à l’une d’elles, qui a vécu la guerre. Elle faisait traverser des gens à la nage pour les sauver. Aujourd’hui, elle est technicienne en travail social dans le quartier Saint-Michel à Montréal. Elle incarne la résilience à l’état pur! », raconte Monique Lussier3.

Monique Lussier

L’arrivée des travailleuses

En 1978, Diane Dufour4 était l’une des premières enseignantes en mathématiques. « Avec le temps, nous avons pris notre place au collégial, tout comme à l’université. Mais cela ne s’est pas fait tout seul! Les programmes d’accès à l’égalité y ont contribué. » Elle ajoute que la conciliation famille-travail et l’enjeu des droits parentaux ont été aussi des défis.

Diane Dufour

De son côté, Silvie Lemelin5 se souvient qu’au cours des années 90, on la questionnait en entrevue à propos de son statut matrimonial et de son désir d’avoir des enfants. Lorsqu’on lui demandait pourquoi la choisir, elle insistait sur l’importance d’offrir des modèles féminins, surtout dans les disciplines traditionnellement masculines, comme la philosophie.

Silvie Lemelin

Autre élément qui a influencé le travail des femmes dans les cégeps : l’introduction des nouvelles technologies. Anne Dionne6 rappelle, par exemple, qu’au tournant des années 90, les secrétaires ont vécu de plein fouet la révolution engendrée par l’arrivée des outils informatiques.

« Souvenons-nous qu’à l’époque, les secrétaires travaillaient avec des machines à écrire. Lorsque les ordinateurs sont arrivés, elles craignaient de ne pas pouvoir s’adapter et d’être remplacées par des machines. Aujourd’hui, elles sont des agentes de soutien administratif, et leur travail est en constante évolution », explique-t-elle.

Une progression importante

Les cégeps représentent l’un des endroits où la proportion des femmes parmi le personnel salarié a bondi de façon significative, atteignant près de 56 %7 de l’effectif global en 2015. Cette progression s’observe dans toutes les catégories de personnel, sauf dans les emplois de soutien manuel, d’entretien et de services8.

Malheureusement, le travail du personnel de soutien – des emplois majoritairement féminins – n’est toujours pas reconnu à sa juste valeur.

« L’expertise des réceptionnistes et des agents de soutien, par exemple, est rarement soulignée! De plus, nos membres, notamment le personnel technique en loisirs ou en travaux pratiques, le personnel des services alimentaires et les interprètes, doivent composer avec des horaires à temps partiel, des mises à pied pendant l’été… bref, des conditions de travail difficiles », soulève Anne Dionne.

L’arrivée des syndicalistes

Malgré les écueils, Silvie Lemelin se réjouit du chemin parcouru par les femmes et du fait que la vie syndicale dans les cégeps ne soit plus une affaire d’hommes.

Dans son syndicat, les femmes militent activement, à tous les niveaux, qu’il s’agisse des comités locaux, des assemblées générales, des lignes de piquetage ou des instances de la FEC-CSQ et de la Centrale. Elles représentent aussi 50 % des membres du Conseil fédéral et 50 % du Bureau exécutif de sa fédération.

« Si tout n’est pas réglé, on en a fait du chemin en 50 ans, grâce à nos prédécesseures à qui l’on doit beaucoup. En 25 ans de carrière et de syndicalisme, j’ai rencontré des personnes extraordinaires, qui ont tracé la voie à la militante syndicale et féministe que je suis devenue. »

Du côté du personnel de soutien et professionnel, les femmes sont également actives sur le plan syndical. Par exemple, dans les conseils fédéraux de la FPSES-CSQ et de la FPPC-CSQ, elles représentent respectivement 66 % et 54 % des personnes participantes.

« Si tu veux faire avancer les choses, tu dois t’impliquer, tu dois foncer! Ce n’est pas toujours facile. On s’expose à la critique et à la confrontation, ce qui représente un frein pour plusieurs femmes. Il y a aussi la difficile conciliation famille-travail-militantisme. Il faut avoir la fibre, mais le syndicalisme, c’est tellement nourrissant! », ajoute Monique Lussier.

Les présidentes Lucie Piché (FEC), Anne Dionne (FPSES) et Suzanne Tousignant (FPPC) témoignent de la progression de la présence des femmes dans les postes clés de la CSQ.

Le long chemin vers l’égalité

Hélène Lee-Gosselin mène actuellement une recherche sur les professions où les femmes étaient pratiquement absentes, il y a 30 ans, et où leur nombre a augmenté.

« Elles ont choisi des carrières traditionnellement masculines et ont vécu des difficultés liées au fait qu’elles étaient très peu nombreuses dans leur domaine. Résultat : plusieurs ont dû changer de secteur ou d’emploi, ce qui n’est pas sans conséquence sur leur parcours. »

« La croyance que l’égalité est acquise amène probablement à ne pas nommer les problèmes. Il faut que les cégeps en soient conscients et abordent ces questions, notamment par de la formation sur les préjugés sexistes et la reconnaissance des enjeux de culture », poursuit-elle.

« C’est à ce prix que le réseau collégial pourra pleinement atteindre les objectifs d’égalité des chances et de justice sociale qui ont guidé les auteurs du rapport Parent et qui sont à la base de sa création, il y a 50 ans », conclut Lucie Piché.

Hélène Lee-Gosselin


1 Hélène Lee-Gosselin est professeure au Département de management de l’Université Laval et directrice de l’Institut Femmes, Sociétés, Égalité et Équité.
2 Lucie Piché est présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC-CSQ).
3 Monique Lussier est présidente du Syndicat du personnel professionnel du Cégep Marie-Victorin, membre de la Fédération du personnel professionnel des collèges (FPPC-CSQ) et conseillère à la vie étudiante au Cégep Marie-Victorin.
4 Diane Dufour est membre de l’AREQ-CSQ. Elle a été enseignante au Cégep de Sainte-Foy, présidente de la FEC-CSQ de 1986 à 1988, représentante à divers comités nationaux et négociatrice pour la Fédération de 1989 jusqu’à son départ à la retraite.
5 Silvie Lemelin est présidente du Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep de Victoriaville et vice-présidente de la FEC-CSQ.
6 Anne Dionne est présidente de la Fédération du personnel de soutien de l’enseignement supérieur (FPSES-CSQ).
7 COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE (2016). L’accès à l’égalité en emploi : rapport sectoriel des cégeps, [En ligne], p. 23. [cdpdj.qc.ca/Publications/Rapport_sectoriel_cegeps.pdf].
8 Ibid., p. 25.