L’évaluation doit servir aux apprentissages. C’est ce que croient 99 % des enseignantes et enseignants1. En plus de leur permettre d’ajuster leur enseignement, cet outil leur offre l’occasion de diriger, au besoin, les élèves vers les services complémentaires appropriés. Malheureusement, dans le contexte actuel, les choses ne se passent pas toujours ainsi.

L’objectif premier

Le personnel enseignant utilise avant tout les examens pour observer le cheminement des élèves et juger leur progrès. Cependant, la grande hétérogénéité des classes pose parfois problème lorsque vient le temps de tester les connaissances, car toutes et tous ne sont pas prêts en même temps.

« Pour que l’évaluation soit vraiment au service des apprentissages, il faudrait que je puisse évaluer les enfants à des moments différents, quand ils ont compris la notion. Mais la composition et le nombre d’élèves de mon groupe ne me le permettent pas », explique Cathy Morissette2.

Selon elle, les examens ne répondent pas toujours aux objectifs : « Au primaire, nous devons évaluer la compétence “résoudre” en mathématiques alors que les enfants ne sont pas rendus à ce stade de développement. Les élèves sont angoissés par ces tests et souvent ils n’ont pas de bons résultats. Ils considèrent alors, à tort, qu’ils sont mauvais en maths. C’est dommage, car cette compétence n’est même pas considérée pour le passage d’un niveau à l’autre. »

Les examens sont également trop nombreux. « Il y a tellement de matière à voir. J’ai l’impression de devoir passer très rapidement sur le contenu pour me rendre à l’évaluation », poursuit-elle.

Parmi le personnel enseignant du primaire ayant répondu à la consultation, 83 % estiment que la quantité d’examens provenant du MEES3 devrait être revue et 72 % pensent la même chose pour les examens des commissions scolaires.

« Personne n’exige que nous modifions nos notes, mais la comparaison fait en sorte que nous nous demandons ce que nous ferons l’an prochain. »

– Cathy Morissette

Chiffrer la réussite

Marc-Éric Plante

Depuis 2002, la gestion axée sur les résultats, qui mise sur la performance aux examens plutôt que sur l’acquisition des connaissances et le développement des compétences, s’est graduellement immiscée dans le réseau scolaire, éloignant davantage l’évaluation de sa fonction première.

Par leur convention de partenariat avec le MEES, les commissions scolaires doivent atteindre des cibles de réussite chiffrées, ce qui entraine certaines dérives : modification de notes, pression pour n’enseigner que l’essentiel, course aux statistiques, etc.

« Bien que les évaluations me sont très utiles pour exercer mon jugement professionnel en regard du programme de formation, je suis conscient que, pour les gestionnaires, elles permettent aussi d’obtenir des statistiques qui serviront la mécanique de reddition de comptes », dit Éric Larochelle4.

Le personnel enseignant à la formation professionnelle a aussi de la pression. « Que l’élève réussisse ou pas, la direction demande qu’il soit évalué, car le financement est rattaché à une sanction », explique Marc-Éric Plante5.

À la formation professionnelle, les évaluations se font en plusieurs étapes, tout au long de la compétence. « Nous avons eu une consigne cette année d’inscrire “échec” plutôt qu’“absent” à propos d’un élève qui aurait commencé une évaluation, mais qui, pour une raison ou une autre, ne l’aurait pas terminée. S’il est absent, il n’y a pas de sanction et donc, pas de financement », poursuit Marc-Éric Plante.

Selon Éric Larochelle, les cibles chiffrées ne sont d’aucune utilité sur le terrain, car la gestion axée sur les résultats ne tient pas compte de la composition des groupes et des effets de cohortes. « Une année, mes élèves peuvent mieux réussir que ceux de l’année précédente, pourtant je suis le même enseignant. Je ne suis pas le seul responsable de leur succès. »

« Que l’élève réussisse ou pas, la direction demande qu’il soit évalué, car le financement est rattaché à une sanction. »

– Marc-Éric Plante

La comparaison

À l’école de Cathy Morissette, la direction présente une fois par année à l’équipe un tableau comparatif des notes que les établissements de la commission scolaire ont obtenues aux examens du MEES. « On analyse les résultats et on se questionne sur ce qui explique, par exemple, qu’une école située elle aussi en milieu défavorisé a des résultats plus élevés que la nôtre », explique l’enseignante.

Parfois, c’est la pondération adoptée en début d’année par les équipes-écoles entre les examens de connaissances et de compétences qui diffère d’un établissement à l’autre.

« Personne n’exige que nous modifiions nos notes, mais la comparaison fait en sorte que nous nous demandons ce que nous ferons l’an prochain : est-ce que nous changerons nos normes et nos modalités pour produire nos notes afin de les hausser? », s’interroge Cathy Morissette.

83%
DU PERSONNEL ENSEIGNANT
estiment que le nombre d’examens du MEES devrait être revu; 72 % pensent la même chose des évaluations des commissions scolaires.

Remise en question

À la formation générale des adultes, l’évaluation des mathématiques, tout comme celles de sciences et de techno, de chimie et de physique, est également remise en question. Depuis l’implantation des nouveaux programmes, le personnel enseignant constate que les examens vont beaucoup plus loin que le programme d’études lui-même et que les définitions des domaines d’examen manquent de précision. Pour un même contenu, le MEES propose plusieurs versions d’examens avec des niveaux de complexité différents.

« Le résultat obtenu par l’élève dépend donc davantage de la version de l’examen qu’il passe que de sa réelle compréhension de la matière, affirme Lisa Fournier6. Il peut ainsi se retrouver grandement pénalisé, surtout si son objectif est de poursuivre ses études dans un programme contingenté. »

Dans un tel contexte, il est légitime de se demander si l’égalité des chances est vraiment au rendez-vous.


1 La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) a mené, en 2018-2019, une vaste consultation auprès des enseignantes et enseignants.
2 Cathy Morissette est enseignante au primaire et membre du Syndicat de l’enseignement des Vieilles-Forges (SEVF-CSQ).
3 Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
4 Éric Larochelle est enseignant au secondaire et membre du Syndicat de l’enseignement de la Côte-du-Sud (SECS-CSQ).
5 Marc-Éric Plante est enseignant à la formation professionnelle et membre du Syndicat de l’enseignement du Val-Maska (SEVM-CSQ).
6 Lisa Fournier est enseignante à la formation générale des adultes et membre du Syndicat de l’enseignement du Grand-Portage (SEGP-CSQ).