Le secteur public connait présentement deux problèmes criants, selon Angelo Soares1 : la surcharge de travail, qui est insoutenable, et la montée de la compétition et de l’individualisme au détriment de la coopération entre collègues.

« La surcharge de travail, c’est lorsqu’on demande de faire plus avec moins. Cette mauvaise organisation du travail enlève du temps pour la coopération, et l’individualisation entraine à son tour une surcharge de travail. C’est un vrai cercle vicieux! », résume le chercheur, qui a mené une étude dans les milieux de l’éducation et de la santé auprès des membres de la CSQ.

Quand les collègues ne collaborent plus

Le manque d’écoute de la part des gestionnaires et leur manque de disponibilité pour fournir les ressources, les conseils et le soutien nécessaires aux travailleuses et travailleurs, ou encore pour régler des conflits et prendre des décisions peuvent affecter grandement le climat de travail.

« Dans un tel contexte, la compétition peut prendre le dessus. La mauvaise foi s’installe, tout comme la méfiance et le chacun pour soi », rappelle Luc Bouchard2.

Pourtant, lorsque les collègues se soutiennent et collaborent, le climat et la qualité de vie au travail s’en voient améliorés. « Le soutien social crée en effet un sentiment d’appartenance et de solidarité. Il favorise la conciliation entre la vie personnelle et professionnelle », ajoute le conseiller.

La charge de travail vient également affecter les mécanismes de soutien entre collègues. Angelo Soares l’illustre ainsi : « Un enseignant qui manque déjà de temps de planification ne sera pas porté à participer à un programme de mentorat. »

À qui la faute?

Angelo Soares

Selon le chercheur, c’est le néolibéralisme, un courant de pensée qui propose de réduire le rôle de l’État, qui a infecté le marché du travail en général : « Nos institutions publiques n’y échappent pas, et c’est pourquoi nous vivons des problèmes importants dans nos écoles, nos centres de formation, nos cégeps, nos universités, nos hôpitaux, nos CLSC, nos CHSLD, nos CPE, etc. »

Il ajoute que « l’État s’est retiré de la vie économique, par des mesures de dérèglementation, de privatisation, de mise en compétition des travailleurs. Dans cette logique, il n’y a pas d’incitatif à changer les choses. Tout ce qui compte, c’est le rendement individuel ».

Des signaux très clairs

Dans le secteur public, les dirigeantes et dirigeants sont incapables de formuler des plans à long terme qui permettraient de sortir de cette logique, déplore Angelo Soares.

Malgré les signaux d’alarme qui démontrent très clairement que nos organisations se dirigent droit dans le mur, entrainant avec elles la santé des travailleuses et des travailleurs, les gestionnaires se contentent d’agir sur l’immédiat, refusant la nécessaire introspection qui amènerait des changements en profondeur.

Résultat : plus d’élèves en difficulté par classe et moins de personnel de soutien et de ressources professionnelles pour permettre aux enseignantes et enseignants d’intégrer les jeunes correctement.

64,4 % des membres de la CSQ dorment de 6 à 7 heures par nuit, soit de 1 à 2 heures de moins que la moyenne des Canadiens (8,12 heures).

Dommages collatéraux

Une telle situation provoque des dommages. C’est ainsi qu’on voit, parmi les jeunes enseignantes et enseignants, une personne sur quatre quitter la profession avant d’atteindre sa cinquième année d’expérience. Des professionnelles et professionnels, à bout, n’en peuvent plus d’éteindre des feux à longueur de journée. Des TES3 et des éducatrices en service de garde, las de la précarité dans ces conditions difficiles, trouvent un emploi ailleurs, souvent à contrecœur.

Dans le milieu de la santé et des services sociaux, on voit plus de patientes et patients sur les étages, mais moins d’infirmières. Et quand ces dernières ne tombent pas malades, on exige qu’elles effectuent du temps supplémentaire obligatoire.

« La source de ces problèmes est clairement organisationnelle », affirme Angelo Soares.

Des risques pour la santé physique et psychologique

Le chercheur rappelle que la surcharge et le manque de soutien au travail sont deux des facteurs qui peuvent provoquer de la détresse psychologique, des problèmes de santé mentale et même des troubles musculosquelettiques importants et couteux pour la collectivité.

Plus l’intensification du travail augmente, plus les capacités intellectuelles et physiques des travailleuses et travailleurs sont sollicitées. « Plusieurs études démontrent qu’une charge de travail élevée peut aussi mener à des problèmes cardiovasculaires et à une hausse de l’absentéisme », explique Luc Bouchard.

Il ajoute qu’un faible soutien social de la part de collègues ou d’une supérieure ou d’un supérieur peut faire naitre un climat malsain en milieu de travail et porter atteinte à la santé. « Il peut être générateur de tensions et de conflits susceptibles d’entrainer divers problèmes, y compris l’absentéisme, des symptômes dépressifs et de la détresse psychologique », soutient-il.

Selon l’INSPQ4, dans un contexte où le travail s’intensifie et où les changements sont de plus en plus fréquents, le soutien social s’avère un facteur de protection important pour prévenir les problèmes de santé au travail. Le soutien se manifeste de différentes façons. Ce peut être des collègues qui offrent leur aide pour surmonter des difficultés, qui partagent des tâches, qui se répartissent le travail en période de pointe et qui prennent des moments ensemble pour discuter des façons de faire le boulot.

Bref, il est bien loin l’idéal auquel le personnel du secteur public aspirait lorsqu’il a choisi de dédier sa vie au service de la population. Et ça, c’est le nœud du problème, estime Angelo Soares. « Cette dissonance entre les valeurs personnelles et les réalités des travailleuses et des travailleurs leur met une pression énorme, et c’est un enjeu majeur de rétention du personnel, nous dit le chercheur. La passion ne suffit pas, la vocation non plus! »

Seulement 1/3 du personnel de l’éducation ne travaille pas la fin de semaine.

Ce n’est pas dans nos têtes

Selon Angelo Soares, « le problème est collectif et nous devons lutter collectivement ». Il faut nommer les problèmes et agir sur l’organisation du travail à l’échelle locale.

« Les problèmes ne sont pas dans nos têtes, mais la solution, elle est dans la tête des travailleuses et des travailleurs. Chaque membre de la CSQ a une des clés pour changer les choses », conclut-il.


Des pièges à éviter

Pour faire face à l’intensification du travail, il existe trois stratégies populaires auprès des travailleuses et des travailleurs :

  1. Empiéter sur le temps personnel, par exemple, en travaillant à la maison la fin de semaine au lieu de passer du temps en famille.
  2. Faire plus de choses en même temps, comme prendre part à des réunions téléphoniques en voiture alors qu’on se dirige vers la maison après le travail, ou encore en effectuant de la correction dans les transports en commun.
  3. Arriver avant le début du quart de travail ou rester après afin de prendre connaissance des dossiers en cours ou de les compléter.

Ces stratégies sont toutefois peu efficaces et ne devraient pas être privilégiées.


1 Angelos Soares est sociologue du travail et professeur titulaire au Département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal.
2 Luc Bouchard est conseiller en santé et sécurité du travail à la CSQ.
3 Techniciennes et techniciens en éducation spécialisée.
4 Institut national de santé publique du Québec.