La reconnaissance au travail, c’est le couteau suisse du management, affirme Jean-Pierre Brun1, grand spécialiste des questions touchant la qualité de vie au travail et l’efficacité organisationnelle. Professeur retraité de management et expert-conseil, il s’est d’abord intéressé à la santé mentale au travail en effectuant des interventions dans une grande diversité de milieux de travail et de corps d’emploi.
Au fil du temps, Jean-Pierre Brun a découvert que le manque de reconnaissance était un dénominateur commun aux problèmes de santé mentale au travail. Aujourd'hui, il estime qu’il est grand temps d’élargir la notion de reconnaissance au travail et de lui accorder l’importance qu’elle mérite.
Aller au-delà des résultats
Malgré les nombreuses études qui ont démontré l’importance de la reconnaissance au travail, la théorie n’a pas encore suffisamment rejoint la pratique. Une étude québécoise2 sur les conditions de travail publiée en 2011 révélait à cet effet que 42 % des répondantes et répondants jugeaient recevoir une faible reconnaissance. Une étude française3 a démontré, pour sa part, qu’il s’agirait du premier facteur de démotivation au travail, plus encore que la rémunération.
De plus, dans nos sociétés axées sur la performance, les organisations ont tendance à ne reconnaitre que l’atteinte des résultats, souligne Jean-Pierre Brun. Ce faisant, elles occultent les autres dimensions du travail auxquelles contribuent les travailleuses et travailleurs.
Luc Bouchard4 abonde dans le même sens : « On accorde trop d’importance à l’atteinte des cibles de performance, alors que les travailleurs n’ont pas toujours d’influence directe sur celles-ci. En éducation par exemple, le taux de réussite scolaire ne dépend pas seulement de l’enseignant, surtout si l’on tient compte du fait que les élèves arrivent avec des acquis très différents. »
Ainsi, les enseignantes et enseignants doivent passer de plus en plus de temps à gérer des situations sans lien avec l’enseignement, comme des problèmes de comportement. « Ils se font dire que leur travail n’est pas à la hauteur en fonction de cibles sur lesquelles ils ne peuvent pas agir directement. Ils se sentent démunis face à cela. De plus, on augmente les cibles annuellement tout en diminuant les ressources et les moyens de les atteindre », déplore Luc Bouchard.
À l’évidence, les critères de performance ne tiennent pas suffisamment compte de la réalité.
Les effets sur le personnel
Plusieurs études l’ont démontré : le manque de reconnaissance a des répercussions significatives sur la santé mentale et physique. On remarque un taux d’absentéisme et un sentiment de stress 1,4 fois plus élevés chez les personnes qui vivent un manque de reconnaissance au travail, et elles ont 30 % plus de risque de développer des maladies cardiaques, selon Jean-Pierre Brun.
Une étude5 menée en 2008 dans quatre entreprises différentes a aussi révélé que le manque de reconnaissance se classe invariablement parmi les quatre premiers facteurs de risque associés à la détresse.
Les conséquences pour l’entreprise
La reconnaissance pèse bien plus lourd dans la balance que ne le réalisent les employeurs. « Il y a un impact sur la motivation et l’engagement. Si je ne me sens pas reconnu, je serai moins engagé envers le patron et l’organisation et je mettrai moins d’effort au travail. L’innovation et la créativité sont également touchées. Quand nos bonnes idées ne sont pas reconnues, pourquoi en proposer d’autres? C’est démotivant pour les employés », explique Jean-Pierre Brun.
C’est sans compter les effets sur la rétention du personnel, un problème majeur dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre.
Les quatre formes de la reconnaissance
Jean-Pierre Brun croit qu’un changement de culture doit s’opérer au sein des entreprises afin d’élargir la notion de reconnaissance au travail, qui se décline sous quatre formes, selon lui :
- La reconnaissance existentielle, qui met l’individu plutôt que l’employé à l’avant-plan;
- La reconnaissance de la pratique de travail, qui porte sur la qualité du travail accompli;
- La reconnaissance des résultats, en fonction des objectifs atteints;
- La reconnaissance de l’effort, sans lien avec les résultats obtenus.
« C’est en reconnaissant l’effort qu’on va obtenir les résultats, plutôt qu’en faisant l’inverse! », soutient le spécialiste. Il cite en exemple les matchs de hockey durant lesquels la foule n’applaudit que lorsqu’il y a un but, alors que les joueuses et joueurs mériteraient d’être reconnus pour tous les efforts consentis.
Une reconnaissance de qualité
Jean-Pierre Brun utilise trois critères pour définir une reconnaissance de qualité.
- Il y a d’abord l’authenticité. « Elle est essentielle, dit le spécialiste. Les employés ne sont pas dupes, ils le constatent lorsque la sincérité n’est pas au rendez-vous. »
- Le deuxième critère concerne la proximité dans le temps. « La reconnaissance doit se faire immédiatement après ou peu de temps après l’évènement, sans quoi elle perd son sens », ajoute-t-il.
- Enfin, Jean-Pierre Brun insiste sur l’importance de la spécificité : « On doit préciser ce qui est reconnu. Par exemple, on pourrait féliciter un employé pour un élément d’une présentation qui était particulièrement bon. »
« Au lieu de se limiter aux mercis et aux bravos, des gestes faciles et superficiels qui finissent par perdre toute signification avec le temps, le simple fait de prendre des nouvelles de son employé sera très apprécié. »
– Jean-Pierre Brun
Des petits gestes qui ont beaucoup d’effets
Nul besoin de monter un grand spectacle ni de mettre l’employée ou l’employé sur un piédestal. « Il s’agit plutôt de s’attarder aux petites attentions, à accorder de la considération aux individus. Au lieu de se limiter aux mercis et aux bravos – des gestes faciles et superficiels qui finissent par perdre toute signification avec le temps – le simple fait de prendre des nouvelles de son employé sera très apprécié », explique Jean-Pierre Brun.
Dans sa propre équipe, il se fait un point d’honneur d’être disponible pour ses employés. Il a d’ailleurs institué une pratique selon laquelle il leur offre une garantie de rétroaction s’il ne peut échanger avec eux dans l’immédiat, une approche très appréciée, précise-t-il.
Que veulent les employés?
Quand on demande aux individus ce qu’ils souhaitent obtenir en matière de reconnaissance, la première réponse – et la plus fréquente – est étonnamment simple : « Ils veulent avant tout qu’on leur fournisse les outils et les ressources pour accomplir leur travail, affirme Jean-Pierre Brun. C’est fondamental, et cela constitue une reconnaissance de leur valeur en tant que personnes qui contribuent à l’atteinte des résultats. »
Le deuxième souhait des travailleurs? Une plus grande présence des gestionnaires, ce qui faciliterait les échanges sur le travail et les problèmes courants, et permettrait d’obtenir du soutien pour surmonter les défis et les situations complexes.
Jean-Pierre Brun souligne d’ailleurs l’importance d’offrir de la formation aux gestionnaires, qui sont des experts dans leurs domaines, mais pas toujours en gestion de personnel. De plus, ils sont également aux prises avec une charge de travail et des critères de performance élevés, ce qui a tendance à rendre plus ardu le contact avec les individus autour d’eux.
Comment améliorer le manque de reconnaissance?
Les travailleuses et travailleurs devraient réfléchir à ce qui est important pour eux en matière de reconnaissance et à en parler à leur employeur, en étant le plus précis possible, conclut Jean-Pierre Brun. Selon lui, nul doute que les organisations y gagneraient au change!
1 Jean-Pierre Brun a fondé la Chaire en gestion de la santé organisationnelle et de la sécurité du travail de l’Université Laval, qu’il a dirigée pendant près de 20 ans. Il est l’auteur de l’ouvrage Le pouvoir de la reconnaissance au travail : 30 fiches pratiques pour allier santé, motivation et performance.
2 VÉZINA, Michel, et autres (2011). Enquête québécoise sur les conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST), [En ligne], Montréal, Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, 986 p. [irsst.qc.ca/publications-et-outils/publication/i/100592/n/enquete-quebecoise-conditions-travail-emploi-sst-eqcotesst-r-691].
3 EDENRED, et IPSOS (2011). Baromètre Edenred Ipsos : motivation et bien-être des salariés français, Édition 2011.
4 Luc Bouchard est conseiller en santé et sécurité au travail à la CSQ.
5 BIRON, Caroline, Hans IVERS et Jean-Pierre BRUN (2016). « Capturing the Active Ingredients of Multicomponent Participatory Organizational Stress Interventions Using an Adapted Study Design », Stress & Health, vol. 32, no 4 (aout), p. 275-284.