Pour Esther Lapointe, directrice générale du Groupe Femmes, Politique et Démocratie (GFPD), l’élection de Valérie Plante à la mairie de Montréal en 2017, supplantant un politicien aguerri, a eu un effet d’entrainement. « Elle a su créer de l’enthousiasme chez d’autres jeunes femmes qui se sont reconnues en elle et qui avaient envie de s’impliquer pour changer les choses. » Résultat : lors du scrutin de 2021, 5 des 10 plus grandes villes du Québec sont maintenant dirigées par des femmes.

Aujourd’hui, dans les villes de plus de 50 000 habitants, on compte 45,8 % de mairesses. Le portrait est toutefois moins reluisant dans l’ensemble des municipalités, alors que le nombre de femmes élues à la mairie frôle les 25 %. « Malgré cela, c’est quand même une avancée extraordinaire au point de vue statistique, puisque le pourcentage de mairesses est passé de 18 % à 23 % entre 2017 et 2021, alors que la progression tourne habituellement autour de 1 % par élection », note Esther Lapointe.

Au provincial aussi, le nombre de députées à l’Assemblée nationale a fait un bond spectaculaire entre 2014 et 2018, alors que la proportion d’élues est passée de 27 % à 42 %. Un sommet historique, selon Mélanie Julien, directrice de la recherche et de l’analyse au Conseil du statut de la femme (CSF). « Les avancées sont certaines, mais encore fragiles, dans la mesure où il s’agit du seuil minimum de la zone paritaire, qui se situe entre 40 et 60 %, analyse-t-elle. Nous ne sommes donc pas à l’abri de certains reculs, surtout que c’est déjà arrivé au Québec. »

Raisons historiques

Esther Lapointe

Bien que les avancées soient importantes, la parité n’est pas encore atteinte à tous les paliers gouvernementaux. Encore aujourd’hui, le Canada se classe au 59rang quant à la représentation des femmes en politique, montre un rapport de l’Union Interparlementaire (UIP) comparant 133 pays. Plusieurs raisons expliquent cet écart historique qui tarde à être comblé. « En fait, il y a trois étapes à franchir pour investir la sphère publique, soit : choisir de se présenter, être sélectionnée comme candidate au sein d’un parti et être choisie par l’électorat », détaille Mélanie Julien. Il faut donc travailler sur ces différents paliers pour améliorer la représentativité des femmes.

Cela se joue d’abord dès l’enfance, alors que les fillettes sont socialisées différemment des garçons, estiment les deux expertes. Si bien que plusieurs femmes auront l’impression qu’elles n’ont pas la personnalité ou les compétences pour ce rôle. « Par notre éducation, nous voulons être parfaites, mais il n’y a pas d’école de politique. Il faut apprendre sur le tas », illustre Esther Lapointe. Une pression d’autant plus forte qu’il y a souvent un « deux poids, deux mesures » en politique, alors que les politiciennes sont jugées sévèrement à la moindre erreur, observe-t-elle.

D’où l’importance de proposer différents modèles, histoire de faire éclater les stéréotypes. « Il faut aussi encourager la participation des pères, montrer que c’est normal et sain pour une société que les hommes s’occupent des enfants », mentionne Mélanie Julien.

De même, les partis doivent laisser du temps aux femmes, qui ont tendance à y réfléchir à deux fois avant de se porter candidates. « Elles ont aussi besoin d’être soutenues par un parti ou une équipe, ce qui explique peut-être qu’elles sont plus réticentes à se présenter comme indépendantes, comme c’est souvent le cas au municipal », explique Esther Lapointe. Le GFPD a d’ailleurs lancé en 2019 « Les Elles du pouvoir », un club politique réunissant des femmes gravitant autour de ce monde partager préoccupations et expériences.

Difficile conciliation

Mélanie Julien

De même, le monde politique a été taillé sur mesure pour des hommes alors que les femmes étaient les uniques responsables de la sphère domestique, ajoute Mélanie Julien. « Même si ce n’est pas le seul obstacle, la difficulté à concilier travail-famille peut être un frein. » Bien que cet enjeu touche plusieurs autres secteurs, la sphère politique accuse un retard, alors que les députées et députés de l’Assemblée nationale ne sont toujours pas admissibles au Régime québécois d’assurance parentale.

D’ailleurs, le ministre Simon Jolin-Barrette avait annoncé, en 2020, une réforme à ce chapitre. D’autres mesures, comme l’ajournement des travaux après 18 heures ainsi que la création d’une halte-garderie à l’Assemblée nationale, étaient aussi proposées. « Le télétravail peut faciliter aussi la conciliation, constate Mélanie Julien. Est-ce que ce type d’organisation pourrait être possible au-delà de la pandémie? »

Augmenter le nombre de candidates

S’il faut travailler sur les conditions plus personnelles entourant les femmes en politique, Esther Lapointe estime que les partis politiques détiennent « les clés de la parité », d’abord en faisant de réels efforts pour attirer, sélectionner et recruter des candidates. « Bien souvent, ce sont des hommes blancs qui s’occupent du recrutement. Et ils ont tendance à se tourner vers des personnes qui leur ressemblent. » De la même manière, ils repêchent dans leurs réseaux, freinant la diversité.

Ainsi, les formations politiques ont le pouvoir de présenter une liste de candidatures plus égalitaire. Ce qui a d’ailleurs été le cas lors de l’élection québécoise de 2018, alors que les partis avaient présenté 47,4 % de femmes. Pour les inciter à présenter au moins 40 % de candidates, il est possible d’offrir des récompenses ou d’imposer des pénalités, relate Mélanie Julien. « Quand on regarde à l’étranger, les mesures structurelles comportant des conséquences sont celles qui fonctionnent généralement le mieux », note-t-elle.

Le GFPD réclame d’ailleurs l’adoption d’une loi pour garantir la parité politique. Une façon de protéger les acquis, pense Esther Lapointe. Elle cite en exemple certains pays scandinaves où la montée de la droite a fait reculer le nombre de femmes parlementaires. Au Québec, trois des cinq formations politiques présentes à l’Assemblée nationale se sont engagées à adopter une loi sur la parité, sauf la Coalition avenir Québec et le Parti conservateur. « Selon Éric Duhaime [le chef du Parti conservateur], c’est une parure », rappelle-t-elle.

Autrement dit, si les partis politiques ont l’obligation morale de représenter la réalité, miser sur la simple bonne foi ne garantit pas les résultats. « S’il faut tabler sur les avancées, il ne faut pas baisser les bras et il faut continuer d’être attentifs à la situation », conclut Mélanie Julien. Un dossier à suivre, y compris entre les élections!