C’est ce qui ressort de l’entrevue que Lucie Lamarche a accordée à CSQ Le Magazine. Juriste engagée au parcours exceptionnel, elle a d’ailleurs reçu le prestigieux prix Pierre-Dansereau pour l’engagement social du chercheur lors du 72e gala de l’Acfas1.
CSQ Le Magazine: Qu’est-ce qui vous a amenée à travailler la question des droits de la personne?
Lucie Lamarche : J’ai d’abord pratiqué le droit social dans le sud-ouest de Montréal. Puis, à la fin des années 1970, j’ai contribué à développer les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes était sur le point d’être adoptée. À l’époque, on articulait peu ces luttes en termes de droits de la personne.
Vers la fin des années 1980, on a commencé à comprendre l’interdépendance entre les droits de la personne et les droits sociaux. L’espace social et politique se resserrait, alors qu’émergeait la mondialisation ainsi qu’un nouveau vocabulaire – recul, austérité, ajustement structurel –, parallèlement à la signature des premiers accords commerciaux.
Quand la question du droit des femmes s’est-elle inscrite dans votre réflexion?
Lorsque je travaillais à l’aide juridique, l’enjeu femme-pauvreté-violence était omniprésent. Nous y traitions presque toutes les demandes en matière de droit familial. Constamment, nous devions expliquer au juge qu’il fallait mettre madame à l’abri de monsieur et s’assurer qu’elle avait accès rapidement à l’aide sociale.
Le gouvernement fédéral a ensuite commencé à investir dans des initiatives pour l’employabilité des femmes. On amorçait la déconstruction des inégalités dans l’accès aux avantages sociaux, comme la retraite. Le mouvement féministe mettait en question , par exemple, le fait que les femmes recevaient des prestations de chômage moins intéressantes que les hommes...
Avant les luttes entourant l’équité salariale, nous nous sommes donc battues pour obtenir des programmes d’accès à l’égalité. Nous faisions alors confiance aux institutions publiques. Malgré le virage néolibéral qui s’amorçait, l’État n’avait pas commencé à discréditer les revendications des femmes.
Comment expliquez-vous ce virage?
Dans les années 1980, le Sud s’est vu imposer des ajustements structurels, alors que le Nord a embrassé l’idéologie de la réduction du rôle social de l’État. Au tournant des années 2000, les pays ont réalisé que l’ampleur de la pauvreté et de l’extrême pauvreté menaçait l’équilibre mondial. Le déclic s’est produit. Rappelons-nous les objectifs du millénaire. Les gouvernements se sont mis à réinvestir, mais en traitant les populations comme des risques et non plus comme des détenteurs de droits.
Depuis, on parle du risque pour la santé maternelle, au lieu du droit des femmes à la santé reproductive, du risque d’un fardeau trop lourd d’analphabètes, au lieu du droit à l’éducation... On met en concurrence des groupes – des « clientèles » – qui ont besoin de la reconnaissance de leur vulnérabilité pour obtenir un financement. Et c’est celui qui s’exprime le plus qui a l’oreille du gouvernement. On est donc passé du statut de détenteur de droits au statut de « je mérite ou je ne mérite pas l’étiquette de vulnérable ».
Résultats : les droits de la personne sont compressés, limités aux besoins essentiels, voire noyés dans l’urgence. Et cela nous fait perdre nos repères citoyens. Or, toute personne a droit à un niveau de vie décent! Les droits de la personne sont fondamentaux et ils doivent être garantis par l’État de façon unilatérale.
Quel regard posez-vous sur la contribution du mouvement syndical aux luttes pour les droits de l’homme?
J’ai souvent travaillé en collaboration avec les syndicats sur des enjeux qui ne sont pas stricto sensu des droits syndicaux, comme le revenu décent ou l’égalité entre les femmes et les hommes. Le mouvement syndical est capable d’être ouvert et englobant. Il est capable de prendre le train en marche ou de contribuer à le mettre en marche. Et il bénéficie d’une stabilité qui lui permet de voir loin derrière et, surtout, loin devant.
Le syndicalisme se transforme, mais il poursuit ses actions en tenant compte du fait que les problèmes actuels sont liés aux enjeux des droits de l’homme. Et cela, c’est extrêmement précieux!
Une femme au parcours inspirant
Dans les années 1980, Lucie Lamarche a contribué à créer le Refuge, la première maison d’hébergement francophone pour les femmes victimes de violence, et a fondé le premier bureau d’avocates féministes de Montréal. En 1983, elle a amorcé sa carrière à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Titulaire de la Chaire Gordon F. Henderson en droits de la personne et directrice du Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne de l’Université d’Ottawa à compter de 2007, elle est de retour à l’UQAM depuis 2013. Elle milite également au sein de la Ligue des droits et libertés du Québec. En plus d’avoir soutenu sa candidature au prix de l’Acfas, la CSQ lui a décerné le prix Mérite CSQ lors de son congrès de 2006.
1 Acfas : Association francophone pour le savoir.