Claudia1 a toujours aimé l’école. Poursuivre ses études après son baccalauréat en enseignement n’a donc pas été difficile pour elle. Au contraire. « Heureusement que j’ai eu accès à de la formation continue quand j’ai commencé à enseigner, car je n’aurais pas passé à travers les cinq premières années. Je me sentais mal outillée et pas prête à avoir ma classe. »

Pour compléter sa formation initiale, elle a obtenu une maitrise en enseignement, au cours de laquelle elle a approfondi ses connaissances en didactique des mathématiques ainsi que de la notion d’attachement et de relation avec l’élève. « C’est ce qui fait que je suis encore enseignante aujourd’hui », ajoute-t-elle.

« Il n’y a pas que les enseignantes et enseignants titulaires qui ont besoin de perfectionnement : les spécialistes aussi », croit Vincent Thivierge2. L’art dramatique, la musique et l’éducation physique, par exemple, sont aussi importants pour le développement de la personne. « L’enseignement est une profession complexe qui ne se résume pas simplement à animer les jeunes », dit-il.

Une enquête de la FSE-CSQ3, menée en 2014 auprès d’environ 3000 de ses membres, démontre clairement l’intérêt du personnel enseignant pour la formation continue. La très grande majorité des personnes ayant répondu au sondage dit avoir à cœur de maintenir un haut niveau de compétence et utilise tous les moyens possibles pour y arriver.

Malgré son intérêt pour le perfectionnement, certains éléments, comme la pénurie de personnel, le manque de temps, la surcharge de travail, le choix de formations qui ne correspondent pas aux besoins et le manque de budget, freinent la volonté du personnel enseignant de se perfectionner. Or, la formation continue est pour assurer et maintenir la qualité de l’enseignement dans les écoles, selon Vincent Thivierge.

Le partage des savoirs

Parmi les personnes ayant participé à l’enquête, 75 % mentionnent avoir assisté à une ou à plusieurs formations organisées par leur commission scolaire ou par le MEES4, 68 % à une formation organisée par la direction d’établissement et 32 % à une formation offerte par un pair. Celle-ci est d’ailleurs la variante la plus appréciée des profs.

Pour Claudia, le partage de connaissances entre collègues est vraiment enrichissant. « On échange sur nos expériences, sur ce qu’on a essayé avec nos groupes. Si je m’intéresse, par exemple, aux classes flexibles et que je sais qu’une collègue l’applique depuis un certain temps dans sa classe, je vais la consulter. Elle me fait alors part de ses expériences. C’est informel, mais c’est accessible et pertinent. »

En étant pratiquement le seul de sa spécialité dans deux écoles, Vincent Thivierge avoue que les échanges entre collègues sont plus complexes pour lui. « On s’envoie des courriels, on se voit lors de tournois organisés pendant des journées pédagogiques. Pour nous permettre de suivre de la formation continue ou de nous former entre nous, la commission scolaire propose de nous libérer. Mais si des suppléants ne sont pas disponibles, on annule ou on se voit après les cours, et là, c’est encore de l’extra », explique-t-il.

Vincent Thivierge

La pénurie : un obstacle

Le manque d’enseignantes et d’enseignants rend toutefois la possibilité de perfectionnement difficile. « La semaine dernière, on était quatre personnes inscrites à une formation en mathématiques, raconte Claudia. Finalement, faute de suppléant, l’une d’entre nous n’a pas pu se présenter. »

Pour régler le problème, les commissions scolaires proposent de plus en plus souvent des formations lors des journées pédagogiques. Selon le Conseil supérieur de l’éducation, environ 3 journées pédagogiques sur 15 étaient consacrées au perfectionnement en 1994-1995. En 2010-2011, c’était plutôt de 7,5 à 10 jours sur 20. « Je trouve cela déplorable, confie Claudia. On a besoin de ces journées pour effectuer notre planification ou nos corrections. »

Un choix pas toujours varié

Les sujets proposés par les commissions scolaires sont bien souvent orientés pour servir l’atteinte des objectifs plutôt que pour soutenir le développement professionnel et répondre aux besoins du personnel enseignant. « L’offre tend vers ce qui est idéal pour l’employeur. Si j’ai besoin d’une formation en particulier et qu’elle ne se trouve pas dans l’offre de l’employeur, je dois faire autre chose », dit Claudia.

« Il y a quelques années, le choix de formations était varié. Maintenant, on nous en propose deux ou trois et, parmi elles, une seule me permet d’approfondir mes connaissances, ajoute Vincent Thivierge. Bien que cette formation augmente mon efficacité dans le suivi de l’évolution des élèves, elle n’est pas en lien direct avec la pédagogie et l’enseignement. J’aimerais avoir plus de flexibilité. »

Les profs sont nombreux à penser comme Vincent Thivierge. Selon les données d’une consultation menée en 2018-2019 par la FSE-CSQ auprès de ses membres, les enseignantes et enseignants considèrent quasi unanimement que la valorisation de la profession passe par la reconnaissance de leur expertise et de leur professionnalisme, notamment dans la formation continue. La grande majorité pense que le personnel enseignant devrait pouvoir choisir le sujet, la forme, le lieu et le moment pour se perfectionner.

Le soutien de l’employeur, une nécessité

Vincent Thivierge précise qu’il est difficile de sentir l’appui de son employeur lorsque l’accès et la diversité des formations sont en déclin. Il ajoute que la perte de leur conseiller pédagogique n’a fait que diminuer le suivi et l’importance accordés au perfectionnement des éducateurs physiques.

Pour lui, le nombre d’heures accordées au perfectionnement est également insuffisant. « Se faire annoncer le matin que tu dois rester à l’école faute de suppléant n’est pas une nouvelle qui souligne l’importance de la formation continue », dit-il.

Selon les données de la consultation, la majorité des enseignantes et enseignants souhaite également que les budgets alloués au perfectionnement soient augmentés.

Les deux enseignants interrogés dans le cadre de cet article soulignent qu’ils sont conscients du contexte dans lequel évolue leur employeur. Cependant, tous deux aspirent à mieux, pour eux-mêmes, mais surtout pour les enfants.

« Pour nous permettre de suivre de la formation continue ou de nous former entre nous, la commission scolaire propose de nous libérer. Mais si des suppléants ne sont pas disponibles, on annule ou on se voit après les cours, et là, c’est encore de l’extra. »

– Vincent Thivierge

Changement de cap

Pour favoriser le perfectionnement, des communautés d’apprentissage professionnelles (CAP) sont mises sur pied depuis quelques années dans plusieurs milieux. L’objectif initial : permettre aux enseignantes et enseignants de réfléchir à leur pratique professionnelle et faire émerger des solutions à des problèmes identifiés.

Au fil du temps, toutefois, les CAP se sont éloignées de leur principal but et sont devenues un instrument au service de la gestion axée sur les résultats. Très souvent, elles visent la collecte de données, la standardisation, voire l’imposition de pratiques pédagogiques dites probantes.

Les résultats de la consultation menée par la FSE-CSQ démontrent que le personnel enseignant souhaite voir ces communautés retrouver leur visée de développement professionnel.


1 Claudia est enseignante dans une école de la région de Vaudreuil. Pour pouvoir s’exprimer librement, elle a requis l’anonymat.
2 Vincent Thivierge est enseignant en éducation physique aux écoles Cuillierrier et Sainte-Marthe, et membre du Syndicat de l’enseignement de la région de Vaudreuil.
3 Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).
4 Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.