Professeure de littérature au cégep Gérald-Godin, Catherine Bélec a pu constater, dès le début de sa pratique enseignante, les difficultés en lecture de ses étudiantes et étudiants. Celle qui vient de déposer une thèse de doctorat professionnelle se demandait alors : « Que pouvons-nous faire de mieux? »

Avec des collègues de plusieurs disciplines ayant les mêmes interrogations, elle a d’abord développé des projets autour des cercles de lecture. « Nous souhaitions dégager un modèle pour que cette activité pédagogique permette à des jeunes ayant parfois de grands écarts de niveau les uns par rapport aux autres de devenir plus autonomes dans leurs apprentissages en améliorant leur capacité à lire », raconte Catherine Bélec.

Aborder le problème plus largement

En poursuivant ses recherches, l’enseignante-chercheuse s’est intéressée au concept de littératie, c’est-à-dire à l’ensemble des connaissances en lecture et en écriture permettant à une personne d’être fonctionnelle en société. Elle a mis sur pied en 2018 un Laboratoire de soutien en enseignement des littératies (LabSEL) dans son collège.

« Si les compétences en lecture sont fondamentales, prendre les difficultés scolaires sous l’angle de la littératie permet d’aborder le problème plus largement, en tant qu’interaction avec toutes les formes d’informations : orales, écrites, visuelles. Cela permet de les interpréter et de les réutiliser afin d’apprendre, de communiquer et d’être autonome », précise Catherine Bélec.

Catherine Bélec

Un sujet complexe

Dans l’espace public, il est souvent question des enjeux sociaux liés aux adultes qualifiés d’analphabètes fonctionnels. Catherine Bélec précise toutefois que la question de la littératie est plus complexe qu’il n’y parait : « Les compétences en écriture et en lecture varient selon le contexte dans lequel la personne se trouve. Par exemple, on peut être un bon lecteur en philosophie, mais pas en mathématiques. C’est pour cela que le développement des compétences en littératie doit être intégré dans les apprentissages de la discipline enseignée », explique-t-elle.

Catherine Bélec ajoute que, « plutôt que d’expliquer en théorie comment prendre des notes, le prof d’histoire devrait expliquer comment prendre des notes en histoire. Il s’agit de faire comprendre aux jeunes le rapport au savoir et à l’information propre à la discipline. Il ne faut pas penser que la littératie est un domaine exclusif de la littérature! »

Une mauvaise maitrise de la langue?

La jeune génération maitrise-t-elle moins bien la langue que la génération précédente? Catherine Bélec croit que « la quantité et la complexité des informations à traiter dans la société actuelle sont beaucoup plus grandes qu’avant. Ce qu’on qualifiait de "niveau fonctionnel" il y a 30 ans n’est plus le même aujourd’hui. Autrefois, la lecture et l’écriture faisaient plutôt partie du réseau des pratiques officielles et professionnelles. Il était donc moins fréquent d’avoir à lire ou à écrire et, quand on le faisait, on portait à l’exercice une attention particulière. Aujourd’hui, les gens n’ont jamais autant écrit et lu, mais la sphère écrite est entrée dans le réseau des pratiques familières et informelles. »

Selon la professeure, « la perception actuelle de mauvaise maitrise de la langue écrite provient en partie du fait que l’on demande aux jeunes de transférer une pratique courante informelle [une écriture calquée sur l’oral utilisée notamment dans les médias sociaux] en une maitrise formelle [écrits professionnels, présentation, etc.]. Or, déconstruire une habitude n’est pas une mince affaire ». Elle ajoute que les comparaisons du niveau des étudiantes et étudiants dans le temps sont difficiles à faire, notamment parce que la notion même de littératie est en constante évolution.

Contrer le cycle

Comme ses collègues, Catherine Bélec constate toutefois qu’une population étudiante ayant des besoins et des origines de plus en plus diversifiés entre au collégial. Faisant écho aux enjeux du secondaire, notamment avec le système à trois vitesses maintes fois décrié, elle explique qu’« un des problèmes est sans doute que l’on aborde l’enjeu de manière trop restreinte dans le système scolaire en pensant que les jeunes de deuxième secondaire sont censés savoir lire et écrire, alors que les recherches sur le sujet montrent que ce sont des compétences qui se développent, mais qui peuvent aussi se perdre. »

Elle ajoute que « face aux difficultés scolaires, il y a un danger à simplifier les lectures, à les résumer, à les réduire [pour faciliter la réussite des étudiantes et étudiants]. Cela a comme effet de diminuer les compétences en littératie et de créer un cercle vicieux pour la suite de leur parcours ».

De l’avis de l’experte, il faut plutôt réussir à créer un cercle vertueux pour contrer le cycle « mauvais rapport à l’écrit, mauvaise note, échec scolaire » : « Au lieu de dire que les jeunes n’ont pas les compétences, on doit plutôt tabler sur leurs forces pour favoriser le développement d’un rapport à l’écrit positif. Cela peut impliquer d’exploiter leurs compétences orales ou écrites dans une sphère qui leur est familière pour les amener par la suite à développer leurs compétences en écriture et en lecture dans des contextes moins familiers et plus complexes. Il faut que l’évaluation de la langue, lue ou écrite, cesse d’être synonyme de pénalité pour les élèves et qu’elle devienne, au contraire, une occasion de mettre en valeur leurs progrès et leurs forces. Autrement dit, qu’elle cesse d’être un éteignoir à l’apprentissage. »

Un des défis de la mise en œuvre de cette approche est le fait de vouloir des résultats quantifiables et standardisés à court terme, alors que le développement des compétences en littératie se mesure à long terme et varie d’un individu à l’autre, selon Catherine Bélec. « Il faut voir l’amélioration des compétences en littératie comme un investissement social. Ces compétences permettent aux gens d’être autonomes en société ainsi que de mieux intervenir dans leurs milieux professionnels; elles facilitent également leur apprentissage tout au long de leur vie. »

Un enjeu dans tous les réseaux

L’enjeu de la littératie dépasse bien sûr largement le réseau collégial. Pour Catherine Bélec, toutefois, les cégeps n’en sont pas moins un lieu très propice au développement des compétences en littératie. « On peut y faire une grosse différence, car les étudiantes et les étudiants sont à un point de maturité pour apprendre de manière autonome. D’autant plus que, grâce à leur choix de programme, cela les amène à avoir une plus grande motivation », conclut-elle.