Vous n’êtes pas la seule personne à trouver que sa facture d’épicerie a augmenté. Les meubles, les logements, les maisons, l’essence, tout semble couter plus cher depuis quelques mois. La pandémie est en partie responsable de la surchauffe récente des prix, mais d’autres éléments sont également en cause. Pour en discuter, CSQ Le Magazine a rencontré le conseiller à la recherche de la CSQ, Pierre-Antoine Harvey.

CSQ LE MAGAZINE : QU’EST-CE QUE L’INFLATION ET COMMENT ÇA S’EXPLIQUE?

Pierre-Antoine Harvey : L’inflation représente une hausse générale et durable des prix. Elle provoque une réduction du pouvoir d’achat des consommateurs, c’est-à-dire une diminution de la quantité de biens et de services qu’il est possible de se procurer avec une même somme d’argent.

Plusieurs phénomènes économiques et sociaux peuvent provoquer l’inflation, par exemple une trop grande disponibilité des devises, l’augmentation des taux de change, la hausse des salaires ou encore la forte demande d’un produit sur le marché.

L’inflation comporte aussi un aspect « psychologique ». Comme les prix de vente des biens et des services ainsi que les salaires des travailleurs sont déterminés, notamment, en prévision de l’évolution des prix, une inflation plus forte, qu’elle soit réelle ou anticipée, peut provoquer un ajustement des prix à la hausse. C’est la Banque du Canada qui a le mandat de stabiliser les prix, et donc l’inflation.

L’INFLATION EST ACTUELLEMENT ÉLEVÉE, MAIS EST-CE LA PLUS IMPORTANTE HAUSSE QUE LE QUÉBEC AIT CONNUE?

La hausse de l’inflation de 3,4 % prévue pour 2021 n’est pas la pire que le Québec ait connue. Elle n’est pas beaucoup plus élevée que l’augmentation de 3 % vécue lors de la sortie de crise de 2008. Dans les années 1970 et 1980, les taux d’inflation oscillaient même autour de 6 ou 7 %.

En 2021, nous sommes encore loin de ce rythme. Toutefois, si la prévision pour cette année impressionne, c’est qu’elle se détache de l’inflation moyenne, bien contrôlée autour de 2 %, des 30 dernières années.

QUELLES SONT LES CAUSES DE LA HAUSSE ACCÉLÉRÉE DES PRIX QUE NOUS CONNAISSONS ACTUELLEMENT?

Une bonne part de l’inflation rapide des derniers mois s’explique par le rattrapage à la suite de la stagnation des prix au plus fort de la pandémie. Les confinements, et les dérèglements économiques qu’ils ont provoqués, ont freiné la progression des prix en 2020.

D’autres éléments sont aussi en cause, par exemple les retards de production et le cout du transport. Avec les confinements et les mesures sanitaires appliqués à des rythmes désynchronisés à travers le monde, la production et les échanges commerciaux ont été retardés. Sans compter que le prix du transport de marchandises par conteneur en provenance de l’Asie a été multiplié par cinq dans la dernière année.

L’intervention massive du gouvernement fédéral pendant la crise a aussi eu pour effet de maintenir le niveau général de revenu disponible. L’interdiction de voyager ou de faire des sorties a permis à plusieurs familles de hausser leur épargne. Ces deux facteurs ainsi que la pénurie de main-d’œuvre, qui réduit l’offre de services et cause des retards de production, exercent une pression sur les prix.

Finalement, les politiques monétaires très accommodantes des banques centrales et la mise en place de généreux plans de relance des gouvernements ont aussi un effet sur l’inflation, même si elles ont permis de réduire considérablement la durée et les dégâts du ralentissement économique.

DOIT-ON S’ALARMER DE LA SURCHAUFFE RÉCENTE DES PRIX? 

Il est difficile de prédire l’avenir, mais l’analyse des faits et des tendances porte à croire que la hausse des prix est passagère et qu’il ne sert à rien de trop s’en inquiéter.

La majorité des observateurs, comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque du Canada et la Réserve fédérale américaine, considère que l’inflation élevée actuelle s’explique principalement par des facteurs transitoires. Elle devrait retrouver un rythme de croissance près de la cible du 2 % dès 2022.

Par contre, si les chaines d’approvisionnement ne se rétablissent pas rapidement, si les prix des matières premières demeurent élevés et si les acteurs économiques commencent à anticiper une inflation plus élevée, les prix pourraient augmenter nettement plus vite.

Pour l’instant, toutefois, une telle hausse marquée et durable des prix semble un scénario improbable.

QUELLES POURRAIENT ÊTRE LES CONSÉQUENCES D’UNE ACCÉLÉRATION DURABLE DE L’INFLATION?

Une inflation élevée vient réduire le pouvoir d’achat de chaque dollar en notre possession. Les personnes retraitées dont les revenus sont fixes ou partiellement ajustés peuvent souffrir davantage d’une inflation élevée que les travailleuses et les travailleurs.

D’un autre côté, un avantage de l’inflation pour une majorité de gens est qu’elle vient réduire plus rapidement le poids de leurs dettes. Cet avantage s’applique aussi à la dette publique.

L’effet négatif possiblement le plus important de l’inflation proviendrait des efforts des banques centrales pour la contenir entre 2 et 3 %. Pour freiner l’inflation, la Banque du Canada pourrait augmenter le taux d’intérêt directeur et réduire ses achats de titres, ce qui provoquerait une baisse de l’activité économique.

Un signe encourageant, c’est que la Banque du Canada ne semble pas s’inquiéter de l’inflation et vise toujours l’objectif de soutenir la relance. À moins d’un revirement important de l’inflation réelle et prévue, la Banque du Canada ne semble pas prévoir donner un coup de frein à l’économie afin de stabiliser les prix.