La pandémie a créé une onde de choc, réunissant tous les ingrédients générateurs de stress. « En plus d’être imprévue, cette crise sanitaire était incontrôlable. Aujourd’hui encore, on ne sait toujours pas quand et comment cela va se terminer », lance Alessia Negrini, chercheuse en santé psychologique au travail à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).

Michel Vézina

Le stress est une réponse naturelle pour s’adapter à un évènement, précise-t-elle. « Pour une certaine partie de la population et des organisations, la situation est devenue l’occasion de se réorganiser, d’apprendre, de revoir ses façons de faire. »

Mais pour les personnes déjà fragilisées, la crise a pu exacerber certaines vulnérabilités, comme l’anxiété ou de la détresse. Idem pour les organisations qui ont pu se retrouver avec un système de gestion dépassé ou peu de ressources dans cette situation exigeant des changements rapides dans leurs façons de travailler, de produire et d’offrir des services.

« La crise a également pu affecter des personnes qui n’avaient aucun problème de santé, rappelle Mélanie Baril, conseillère en santé et sécurité du travail à la CSQ. Le contexte de travail peut augmenter le niveau de stress des personnes et générer des problèmes de santé graves, jusqu’à l’épuisement professionnel. »

La détresse psychologique à nos portes

La pandémie a aussi bouleversé le monde du travail : le personnel enseignant a été catapulté dans l’enseignement à distance, le personnel infirmier s’est retrouvé sur la ligne de front et les intervenantes en petite enfance ont dû, pour certaines, maintenir leurs activités dans les services de garde d’urgence.

Caroline Biron

« Plusieurs travailleurs ont ressenti la peur de perdre leur emploi, mais également de contracter la maladie ou de la transmettre à l’un de leurs proches », mentionne pour sa part le Dr Michel Vézina, conseiller en santé psychologique au travail à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Résultat? Au printemps dernier, près d’une personne sur deux parmi les travailleurs québécois disait éprouver de la détresse psychologique, a mesuré une équipe de chercheurs dirigée par Caroline Biron, professeure à l’Université Laval et directrice du Centre d’expertise en gestion de la santé et de la sécurité du travail. Au total, 56 % des femmes et 41 % des hommes ont rapporté un niveau élevé de détresse psychologique, selon ce sondage mené auprès de 1 215 personnes entre le 30 avril et le 7 mai 2020. Une proportion qui grimpe à 60 % chez les travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux.

Le niveau de détresse psychologique est en augmentation depuis 2015. Une étude menée par l’Institut de la statistique du Québec cette année-là avait plutôt établi que 33 % des femmes et 24 % des hommes vivaient la même situation. Des résultats préliminaires montrent aussi que cette proportion a légèrement diminué avec le déconfinement, mais demeure tout de même plus élevée qu’en 2015, ajoute la chercheuse.

« La peur est aggravée par le fait de ne pas se sentir protégé, et c’est très bien documenté. »
— Dr Michel Vézina, conseiller en santé psychologique
au travail à l’INSPQ

Des effets sur les travailleuses et les travailleurs

Problèmes de mémoire, difficultés à se concentrer, pensées intrusives, erreurs de jugement, troubles musculosquelettiques : le stress peut avoir des conséquences multiples. « Mais surtout, le stress chronique peut engendrer anxiété, dépression ou épuisement professionnel », souligne Marie-Anne Bougie, conseillère d’orientation organisationnelle et psychothérapeute chez Gestion-Psychologie-Santé. Certaines personnes, témoins d’évènements extrêmes comme ceux qui se sont déroulés dans les CHSLD, ont même vécu un syndrome de choc posttraumatique.

C’est pourquoi il faut être à l’affut des moindres signes de détresse psychologique, allant d’une perte d’appétit aux idées noires. « Si, par exemple, on se sent triste la plupart du temps, qu’on a tendance à augmenter sa consommation d’alcool ou qu’on fume pour dormir, qu’on n’éprouve plus d’intérêt pour les choses qu’on aime ou qu’on souffre d’insomnie, il faut s’en préoccuper », dit Marie-Anne Bougie.

Si les symptômes perdurent plus de deux semaines, il faut réagir. « Plus on agit rapidement, plus on évite que les chemins dans le cerveau s’installent à long terme, avec des baisses de sérotonine et de dopamine », précise la psychothérapeute.

Première étape : en parler autour de soi. « Parfois, le simple fait de raconter ce qui nous arrive nous aide à nous sentir moins seuls », explique-t-elle. Il ne faut pas non plus attendre que la situation dégénère avant de se tourner vers un professionnel, que ce soit du programme d’aide aux employés ou d’une autre ressource.

Il vaut donc mieux prévenir que guérir! « Ce qui aide aussi à réduire le stress, c’est de briser le sentiment d’impuissance, de s’outiller et de reprendre du contrôle », ajoute Marie-Anne Bougie.

Protéger et rassurer le personnel

Marie-Anne Bougie

En matière de santé psychologique, les employeurs ont aussi un rôle à jouer. En effet, on ne peut offrir que de l’aide individuelle quand les problèmes proviennent de l’organisation du travail, explique le Dr Vézina. « Les travailleurs ont besoin d’être entendus et écoutés quand quelque chose fonctionne mal dans l’organisation. » Si les employées et employés se sentent impuissants et surchargés, ils risquent de se désister, ajoute-t-il.

Le personnel doit aussi être équipé convenablement pour faire face au risque sanitaire, comme s’il était envoyé au front. « La peur est aggravée par le fait de ne pas se sentir protégé, et c’est très bien documenté », explique le spécialiste.

Ensuite, le personnel ne doit pas se sentir laissé à lui-même dans son retour au boulot. Que se passera-t-il en cas d’éclosion? Y’a-t-il du matériel de protection disponible? Si oui, où est-il? Est-ce qu’une partie du travail, comme la préparation des cours, se fera à distance? Plus les consignes seront claires, plus cela diminuera le stress des personnes. « Il faut planifier différents scénarios, informer le personnel des mesures d’hygiène et le former s’il le faut, explique Alessia Negrini. Le fait de communiquer efficacement permet de rassurer les travailleurs. »

Cette notion est d’autant plus importante que la situation évolue constamment, comme on l’a vu dans les écoles par rapport aux ratios en classe, à la distance entre les enfants ou à l’implantation de bulles, cite en exemple Mélanie Baril. « C’est sûr qu’il faut laisser aux gens du temps pour qu’ils s’approprient les nouvelles mesures, mais quand elles sont bien appliquées, quand on sent qu’elles sont respectées, c’est très aidant », dit-elle. De même, les supérieurs doivent se montrer flexibles et revoir leurs priorités à la lumière de ces changements.

Mélanie Baril rappelle que « les employeurs ont l’obligation d’agir sur le plan de la prévention afin d’éviter que les personnes soient victimes d’une lésion professionnelle, telle que le trouble de l’adaptation ou la dépression, résultant d’un contexte inhabituel de travail. Ils doivent notamment imposer des limites à l’hyperconnexion et au débordement des heures de travail qui sont exécutées à la maison ».

Ghislaine Labelle

Les gestionnaires doivent donc miser sur l’écoute, la communication et la bienveillance, indique Ghislaine Labelle, conseillère en ressources humaines agréée et psychologue organisationnelle au Groupe SCO. Elle suggère, entre autres, de former des duos de travailleurs pour qu’ils puissent s’entraider et partager ce qu’ils vivent. « Dans les réunions, on pourrait discuter non seulement de ce qui a bien fonctionné, mais aussi des préoccupations des employés. Est-ce que les gens se sentent bien? Que peut-on faire pour que ça fonctionne mieux? En posant ces questions, on donne de la légitimité aux demandes. » Selon Alessia Negrini, c’est également l’occasion d’échanger ses bons coups.

Cette approche permet aussi de garder un œil sur les différents facteurs de risque psychosociaux, qui pourraient avoir été augmentés avec la crise. C’est pourquoi l’IRSST conseille aux employeurs d’agir en prévention. « Il faut faire en sorte que les lieux incitent à l’entraide, au partage et à la prise de décision, pour favoriser l’autonomie. De plus, c’est important que les employés exercent un certain contrôle sur leurs façons de travailler », mentionne Mélanie Baril. Il faut donc s’assurer que les gestionnaires sont outillés, et formés, en ce qui concerne les questions de santé mentale, ajoute Alessia Negrini. « Au final, les employés doivent se sentir protégés, entendus, soutenus, reconnus et respectés », résume le Dr Vézina.

La recherche de l’équipe de Caroline Biron abonde d’ailleurs dans le même sens. Les personnes qui travaillent pour des organisations « bienveillantes » se sont senties moins affectées psychologiquement par la crise. « On constate que ces entreprises accordent de l’importance aux situations pouvant porter atteinte à la santé psychologique, qu’elles offrent la possibilité de parler de ce sujet, sans tabou, qu’elles sollicitent la participation de tous les niveaux hiérarchiques et que leur haute direction est engagée et corrige rapidement les problèmes de cette nature », énumère la spécialiste. Dans les organisations réunissant ces facteurs, on comptait 24 % moins de personnes déclarant une détresse élevée et 12 % plus de travailleuses et de travailleurs se percevant comme « hautement performants ».

S’aider soi-même

Quand tout se bouscule, il faut reprendre le contrôle de sa vie, ce qui peut toutefois sembler difficile dans un contexte pandémique. « Pour passer à travers la crise, il faut être capable de lâcher prise sur certains aspects et agir sur ce qu’on peut changer, comme la planification de sa propre routine ou la façon de se protéger lors de la proximité avec d’autres personnes », indique Alessia Negrini.

Le simple fait de s’accorder du temps permet de se sentir mieux. « On peut aussi décider de faire de la méditation ou du yoga. Mais ce qui est vraiment important, c’est de créer un moment juste pour nous. Car mettre des limites nous redonne du pouvoir. On le fait parce qu’on l’a choisi », précise Marie-Anne Bougie.

Dans la même veine, il faut trouver des moyens de se déconnecter, en s’adonnant à un passetemps qui nous plait. « L’exercice physique permet aussi de se décharger du stress de la journée. D’autres vont s’habiller “en mou” en arrivant du travail. Ils ont l’impression de changer de peau », ajoute la psychothérapeute. Une façon de faire la coupure avec le boulot.

Maintenir de saines habitudes de vie et ne pas s’isoler sont également des clés pour conserver son équilibre. « C’est important de se rappeler que ce n’est pas la première fois qu’on se retrouve devant un obstacle ou un évènement stressant dans notre vie, mentionne aussi Alessia Negrini. Il faut repenser aux stratégies, aux ressources que nous avons utilisées pour passer au travers d’autres situations difficiles. » Bref, se rappeler le positif aide à garder confiance en l’avenir.

« Pour passer à travers la crise, il faut être capable de lâcher prise sur certains aspects et agir sur ce qu’on peut changer, comme la planification de sa propre routine ou la façon de se protéger lors de la proximité avec d’autres personnes. »
— Alessia Negrini, chercheuse en santé psychologique au travail à l’IRSST


Comment faire face à l’anxiété?

Il existe plusieurs stratégies à adopter pour faire face à l’anxiété. Certaines sont individuelles, par exemple :

  • prendre conscience de ses pensées négatives et irrationnelles;
  • lâcher prise sur les aspects qu’on ne peut contrôler;
  • maintenir de saines habitudes de vie (bonne alimentation, exercice physique, etc.);
  • compenser la distanciation physique par des liens virtuels;
  • faire appel au programme d’aide aux employés ou à une autre ressource.

D’autres stratégies sont collectives et permettent d’intervenir sur un milieu néfaste pour la santé mentale, par exemple :

  • entreprendre des discussions au sein du comité santé et sécurité du travail;
  • appliquer le droit de refus;
  • déposer des plaintes à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST);
  • déposer des griefs;
  • former et informer les travailleuses et les travailleurs, et les sensibiliser à ces questions.