Transcription de l'allocution d'ouverture du 43ème Congrès de la CSQ par Sonia Ethier, présidente sortante de la Centrale:
Pour tout vous dire, je vous avoue que je suis émue d’être ici aujourd’hui.
C’est un moment important pour moi parce que c’est l’aboutissement d’une carrière syndicale de plus de trente ans. Trente années consacrées à la défense des droits des milliers de femmes et d’hommes qui travaillent quotidiennement au bien-être des Québécoises et des Québécois.
Au premier jour de mon militantisme, ainsi que pour tous ceux qui ont suivi, j’ai été animée par la même conviction quant à l’importance de l’action syndicale comme moyen pour améliorer nos vies. Pour ne rien vous cacher, cette conviction s’est accrue au fil des années. Elle s’est enracinée.
Je veux remercier chacune et chacun d’entre vous pour ces trois années qui m’ont marquée profondément. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le mandat que je termine aujourd’hui n’a pas été de tout repos.
Franchement, au début de l’année dernière, personne ne se doutait que nous serions confrontés à une pandémie de cette ampleur et à ses impacts majeurs. Notre vie quotidienne et nos milieux de travail ont été affectés, et la négociation n’y a pas échappé.
On va se le dire clairement : négocier en pleine crise sanitaire, ça n’a juste pas de bon sens.
Parlez-en à tous les membres qui n’ont pas eu de vacances en raison des décrets, aux travailleuses enceintes qui se battaient pour être protégées, au personnel qui revendiquait du matériel de protection efficace, aux travailleuses et aux travailleurs qui se trouvaient au front et qui avaient peur pour leur propre santé et pour celle de leurs proches.
Aujourd’hui, je veux vous dire à quel point vous avez été courageuses et courageux. Je vous assure que, chaque jour, j’ai pensé à vous et aux répercussions que cela a eues dans vos vies, et, pour cela, je suis très fière d’être votre présidente.
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Durant mon mandat, les journées ont souvent été longues. Les enjeux ont souvent été décisifs. Les responsabilités ont souvent été importantes. Mais c’est en me rappelant la confiance que vous m’avez exprimée, le 29 juin 2018, que j’ai trouvé l’énergie pour continuer à défendre nos droits collectifs.
Quand je me suis présentée à la présidence de notre centrale, j’avais deux grands objectifs en tête :
1. Rapprocher la CSQ de ses membres;
2. Rapprocher la CSQ de la population en démontrant l’intérêt commun pour la défense des services publics.
C’est avec beaucoup de satisfaction que je vous affirme, aujourd’hui, que c’est mission accomplie.
Nous avons eu nos débats, la traversée a parfois été houleuse, mais notre centrale en est ressortie chaque fois plus forte, et ses membres, plus solidaires. Nous avons toujours été solidaires dans le changement.
Parce qu’il ne faut pas l’oublier : cette solidarité constitue le moteur de notre action collective.
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Je pense à un documentaire diffusé récemment sur les ondes de Télé-Québec. Fort à propos, le titre en est d’ailleurs Traversées.
On y suit l’expédition au Nunavik de cinq femmes qui longent la rivière Koroc, un chemin emprunté par les Inuits depuis des millénaires. Comme nous, ces femmes doivent vaincre des obstacles exigeants qui les amènent à repousser leurs limites.
À un certain moment, elles doivent traverser à pied une rivière au fort courant, dont le niveau leur arrive à la taille. Ce qui leur apparaît impossible devient réalisable grâce à une technique précieuse, enseignée par un guide de rivière. Pour surmonter la force de la rivière, elles s’attachent littéralement les unes aux autres, en se serrant les coudes, et avancent, d’un seul pas, jusqu’à l’autre rive.
Voilà la démonstration qu’ensemble, on réalise des choses qu’on ne pourrait pas accomplir seul.
C’est pourquoi j’ai toujours cru à l’importance des centrales syndicales et à leur rôle essentiel dans la société. C’est pourquoi les syndicats de la CSQ ont fait le choix de s’allier pour mener des luttes collectives qui vont bien au-delà des frontières de leurs milieux de travail.
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Pour bien en prendre la mesure, j’invite chacune et chacun d’entre vous à plonger au plus profond de vous-même et à vous poser la question suivante : qu’est-ce qui fait que je suis au Congrès de la CSQ aujourd’hui?
Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que nous voulons, chacune et chacun à notre façon, changer notre monde.
Pour ma part, c’est l’objectif que je poursuis depuis trente ans. Je me souviens de la jeune mère d’une famille monoparentale de deux enfants, enseignante en adaptation scolaire à Sorel. Mon parcours atypique confirme que l’histoire n’est pas écrite d’avance.
Quand j’ai commencé à enseigner, il n’y avait même pas de listes de rappel pour le personnel.
Les congés de maternité n’existaient pas. Imaginez ceux de paternité!
On ne parlait même pas d’équité salariale.
Le réseau de la petite enfance n’était même pas dans les plans.
Ces exemples suffisent à nous convaincre de l’importante responsabilité que nous avons toutes et tous entre les mains : influencer le cours de l’histoire. Parce que les luttes passées nous enseignent qu’on obtient seulement ce qu’on va chercher soi-même. Personne ne va le faire à notre place.
L’histoire du syndicalisme est là pour en témoigner : les gains que nous avons obtenus ne sont jamais tombés du ciel. Ils ont été, chaque fois, le résultat de longues luttes et batailles que nous avons remportées grâce à notre détermination, à notre constance et à notre solidarité. Des rivières, nous en avons traversé plusieurs ensemble.
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Comme membres d’une centrale syndicale, notre identité commune, ce qui nous unit, c’est d’être des travailleuses et des travailleurs. Nous avons la responsabilité de défendre cette identité commune, de nous tenir debout devant l’adversité et de faire valoir nos droits haut et fort.
C’est ce que les centrales syndicales ont fait pour obtenir un salaire minimum; c’est ce que nous avons fait pour obtenir des congés de maternité; c’est ce que nous faisons toujours, aujourd’hui, pour atteindre l’équité salariale.
Les luttes que nous menons ont toutes en commun d’être beaucoup plus grandes que nous. C’est ce qui définit notre ADN syndical. Je vous entends penser que ce n’est pas difficile d’être plus grande que moi, mais cela, c’est un tout autre débat!
Dans une centrale syndicale, il y a de la place pour les discussions et les débats. C’est la démocratie qui nous guide. Je demeure convaincue qu’il faut permettre aux idées contraires de s’exprimer. Ce sont souvent les points de vue divergents qui enrichissent la réflexion et qui contribuent à élaborer nos stratégies d’action.
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Vous connaissez ma franchise et mon intégrité. Le respect que j’ai pour vous m’oblige à vous mettre en garde contre ce que je considère comme étant la plus grande menace qui plane actuellement sur monde du travail : l’éclatement de la solidarité syndicale.
Cette remise en question de la solidarité non seulement fait courir un grand risque à nos organisations, mais menace également le maintien de notre filet social. Ce qui nous guette, c’est l’émergence d’organisations corporatistes. En plein ce que veut le gouvernement.
Ce dernier rêve d’un monde où les syndicats ne se mêlent pas des enjeux sociaux. Le souhait le plus cher de François Legault et de la CAQ, pour le monde du travail, c’est la multiplication d’organisations vulnérables au chantage et aux pressions gouvernementales et dont le combat se limite uniquement à défendre les conditions de travail de leurs membres.
Ne vous faites pas d’illusions : le gouvernement Legault est prêt à tout mettre en œuvre pour provoquer notre affaiblissement au profit de syndicats plus faciles à manipuler et à instrumentaliser.
Ce n’est pas pour rien que ce gouvernement s’est empressé de négocier et de conclure des ententes avec des syndicats indépendants, en ignorant les grandes centrales syndicales.
Ce n’est pas un hasard si, sous certains régimes politiques, on a comme premier réflexe d’attaquer les syndicats, sinon de les mettre à la solde du gouvernement.
Il faut être conscients que les centrales syndicales ne sont pas désincarnées de la société dans laquelle elles évoluent.
Nous sommes fondamentalement des acteurs sociaux et politiques et nous jouons ce rôle non pas en dictant aux membres pour qui voter, mais bien en assumant pleinement et publiquement notre mission, qui est de lutter pour une société plus juste et plus égalitaire.
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La pandémie aura marqué tous les esprits et aura bousculé toutes nos certitudes. Elle a mis en lumière la fragilité de nos milieux de travail et de ce que nous tenions pour acquis.
Au moment de notre histoire où, imaginez-vous, on est même allé jusqu’à suspendre la démocratie, les centrales syndicales ont été le dernier rempart dans la protection des droits des citoyens.
Pendant des semaines, nous avons été l’ultime « chien de garde » pour ce qui est de la défense des droits des travailleuses et des travailleurs et de la protection des services publics.
La pandémie a mis la société sur pause. Au moment où il faut la remettre en marche, comment voulons-nous que cette société reparte?
Quel Québec voulons-nous? C’est à nous de répondre à cette question à l’occasion du Congrès qui s’ouvre aujourd’hui. Dans le changement qui s’opère, là, sous nos yeux, il faut être solidaires.
Nous serons toujours à une crise près de la déconstruction de nos acquis et de reculs sociaux. Il faut rappeler au gouvernement caquiste qu’on ne peut pas passer son temps à défaire ce qu’on a pris des dizaines d’années à construire.
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Nous avons donc l’occasion de repartir sur de nouvelles bases. Allons-nous accepter d’assister, dans les prochaines années, au retour des coupes budgétaires qui ont causé tant de torts en ce qui concerne les services aux élèves, aux étudiants et aux patients?
Cela fait maintenant une génération que nous dénonçons la vulnérabilité de nos réseaux, marqués par les coupes, la rationalisation budgétaire et l’austérité. Rappelons-nous qu’il aura même fallu l’intervention de l’armée canadienne pour pallier les lacunes des conditions de travail que nous décrions depuis tellement d’années. Malgré tout cela, la crise n’est même pas encore terminée que certains y vont déjà de leurs discours moralisateurs sur la rationalisation budgétaire et la capacité de payer. La réalité, c’est qu’avec ses contrats de performance, l’ex-ministre de l’Éducation François Legault, a été le premier de sa génération à instaurer cette vague de compressions qui ont fait tant de mal aux services à la population.
Jusqu’où devra-t-on collectivement descendre avant de comprendre que la cour est pleine? Notre rôle à nous, à la CSQ, c’est de nous tenir debout et d’être fiers. C’est de résister. C’est de porter, avec notre tête et notre cœur, le message de cette solidarité et de cette force de changement que nous souhaitons léguer à nos proches et à celles et ceux que nous aimons.
D’autant plus qu’on s’en va en campagne électorale et que nous aurons notre rôle à jouer comme organisation.
Même si nous avons connu plusieurs avancées, certains discours, eux, n’ont pas changé. C’est à nous de continuer à dire « non » aux approches comptables, sans vision, qui étouffent nos milieux de travail et sacrifient notre bien-être depuis 25 ans en causant de la surcharge, un manque de ressources et de la sous-valorisation.
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Pour relever le défi, nous devons revenir aux grands principes qui ont guidé notre organisation depuis ses débuts.
Il faudra toujours rester proches de nos membres et du terrain. Parce que c’est en côtoyant ces femmes et ces hommes dans leur quotidien que nous pourrons parler en leur nom, avec justesse et conviction.
Ensuite, il faudra continuer d’occuper toutes les tribunes publiques possibles pour parler à la population et lui faire valoir cette grande richesse que sont nos services publics pour assurer son avenir et son développement.
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À la veille de mon départ, j’ai le profond sentiment du devoir accompli. Après plusieurs années de militantisme actif, il est maintenant temps, pour moi, de passer le flambeau pour les luttes et les combats à venir. Comme lors d’une course à relais, le témoin est maintenant entre vos mains.
J’ai été grandement privilégiée de parler en votre nom, de défendre vos droits et de vous représenter. Je tiens à profiter de mes derniers moments à la CSQ pour remercier sincèrement mes collègues du conseil exécutif de la Centrale, qui ont su m’épauler chaque jour… et même, quelquefois, m’endurer! Line, Anne, Mario, Luc : merci pour tout. J’ai déjà hâte de vous retrouver autour d’un verre.
Aux élus des fédérations, de l’AREQ-CSQ, du Regroupement des unités catégorielles et des syndicats affiliés à la CSQ : vos membres ont toutes les raisons d’être fiers. Je peux témoigner qu’ils sont dignement représentés par des femmes et des hommes de cœur.
Je me dois de remercier également le personnel de la Centrale. Votre expertise, votre savoir-faire et votre dévouement sont intimement liés aux succès de notre organisation. Merci pour votre travail et pour votre accompagnement, chaque jour.
Aux membres, finalement : merci d’être là et de constituer le fondement de notre action sur le terrain. Sans vous, aucune rivière n’aurait pu être traversée.
Le grand écrivain britannique Oscar Wilde disait qu’« il faut avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit ».
Ne permettez jamais à personne de limiter vos rêves. C’est vous qui êtes désormais le rempart de la solidarité et, forts de cette responsabilité, vous devez poursuivre votre idéal de société. N’hésitez jamais à tout mettre en œuvre pour réaliser les changements auxquels vous aspirez.
Solidarité! Et Bon congrès.