« Lorsqu’une personne travaille pour moins que ce qu’il lui faut pour vivre […] elle est en fait la plus grande philanthrope de notre société. Elle connaît la faim pour que d’autres puissent manger moins cher ; elle vit dans des logements insalubres pour que les chambres d’étrangers soient étincelantes ; elle souffre de privation pour que l’inflation reste négligeable et que la Bourse grimpe. »

Quelques succès:

  • Californie 15 $ en 2023
  • New York 15 $ entre 2018 et 2021
  • Seattle 13 $ en 2016 et 15 $ en 2021
  • Kansas et St-Louis 13 $
  • Le président américain a appuyé le 15 $

Une lutte qui secoue le monde du travail

L’explosion des inégalités au Québec a mis en évidence la réalité des travailleuses et travailleurs pauvres. Souvent des femmes ou des personnes appartenant à des minorités racialisées ou issues de l’immigration, elles s’échinent pour nous assurer des services à petits prix et, pourtant, un salaire minimum de 10,75 $ l’heure ne leur permet pas de s’offrir une vie décente.

Pour répondre à cette injustice, aux États-Unis, au Canada et maintenant au Québec, le mouvement syndical, les communautés religieuses et les groupes communautaires se tournent vers des campagnes pour un salaire viable (living wage). Des campagnes comme Fast-Food Forward ou Fight for 15 ont, par des grèves illégales, des manifestations, des pétitions et de la représentation politique, amené plusieurs villes et États américains à adopter des politiques de salaires minimums viables.

Au Québec, la revendication d’un salaire minimum à 15 $ l’heure fait du chemin. Le Centre des travailleurs immigrants, plusieurs groupes de militantes et militants et la FTQ ont lancé des campagnes sur cet enjeu. Le Front de défense des nonsyndiquées et le Collectif pour un Québec sans pauvreté (organisations auxquelles nous participons) préparent une campagne conjointe pour cet automne.

Alors que les luttes contre les inégalités et la précarisation du travail s’imposent comme prioritaires, alors que des victoires concrètes ont été acquises autour de nous, la revendication d’un salaire minimum à 15 $ l’heure au Québec semble devenir incontournable.

Portrait du salaire minimum au Québec

Historiquement, le salaire minimum québécois trônait au sommet avec celui de l’Ontario. Dans les dernières années, plusieurs provinces canadiennes ont augmenté significativement leur taux horaire minimum, qui dépasse maintenant celui du Québec (Alberta, 11,20 $ ; Ontario, 11,25 $ ; Manitoba, 11 $). En termes de pouvoir d’achat, malgré un rattrapage important entre 2007 et 2010, on constate que le salaire minimum n’a pas récupéré la force qu’il avait à la fin des années 70 et que sa progression stagne depuis quelques années.

Historiquement, le salaire minimum québécois trônait au sommet avec celui de l’Ontario. Dans les dernières années, plusieurs provinces canadiennes ont augmenté significativement leur taux horaire minimum, qui dépasse maintenant celui du Québec (Alberta, 11,20 $ ; Ontario, 11,25 $ ; Manitoba, 11 $). En termes de pouvoir d’achat, malgré un rattrapage important entre 2007 et 2010, on constate que le salaire minimum n’a pas récupéré la force qu’il avait à la fin des années 70 et que sa progression stagne depuis quelques années.

Qui gagne le salaire minimum ?

Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), 210 000 personnes étaient rémunérées au salaire minimum en 2014, soit 6 % des salariées et salariés du Québec. Les femmes sont surreprésentées dans ce groupe, puisqu’elles constituent 58 % des personnes rémunérées au salaire minimum.

Les jeunes de 15 à 24 ans représentent également un fort contingent (59 %) du groupe des salariées et salariés percevant le salaire minimum. Cela n’est pas étonnant compte tenu du fait qu’un grand nombre d’étudiantes et d’étudiants travaillent à temps partiel au salaire minimum. Tout de même, le travail au salaire minimum n’est pas uniquement le fait de « jeunes étudiants vivant chez leurs parents », car 41 % des salariées et salariés payés au salaire minimum sont des personnes âgées de 25 ans et plus.

Une forte proportion des personnes rémunérées au salaire minimum travaillent dans le secteur du commerce de détail (environ 37 %), de l’hébergement et des services de restauration (24 %) ou au sein d’autres industries de services (28 %).

Dans le contexte d’une demande de hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure, il est intéressant de jeter un coup d’oeil sur les caractéristiques des personnes dont le salaire horaire est égal ou inférieur à 15 $.

On constate que le taux horaire d’un nombre très important de salariées et salariés se situe entre le salaire minimum et 15 $. En effet, selon l’ISQ, il y avait en 2014 plus d’un million de travailleuses et travailleurs gagnant moins que 15,51 $ l’heure. C’est donc dire que, si 210 000 personnes gagnaient le salaire minimum, près de quatre fois plus gagnaient quelques dollars de plus et pourraient bénéficier d’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure. Ce million de personnes représente 30 % des salariées et salariés québécois ! Dans ce groupe, les femmes sont également surreprésentées (57 %), mais les jeunes de 15 à 24 ans ne sont plus majoritaires, puisqu’ils représentent 41 % du groupe. C’est donc dire que près de 60 % des gens qui bénéficieraient d’une hausse du salaire horaire minimum à 15 $ ont 25 ans ou plus. Vingt-trois pour cent d’entre eux ont même des enfants.

À la lumière de ces chiffres, il est donc indéniable qu’une hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure aiderait un nombre important de familles avec enfants (plus de 200 000 familles québécoises).

Comment fixer un salaire minimum juste ?

À l’exception de quelques zélotes du « libre marché », la majorité des économistes et des politiciennes et politiciens considèrent qu’un salaire minimum est nécessaire. Le débat s’envenime lorsqu’il s’agit de déterminer sa hauteur.

Pour le ministère du Travail du Québec, le taux « juste » qui permet un « équilibre entre rémunération équitable, incitation au travail et compétitivité des entreprises » se situe entre 45 % et 50 % du salaire moyen. Ce niveau a été recommandé par l’économiste Pierre Fortin, qui s’appuyait sur une recension des études effectuées dans les années 80 et 90. Le salaire minimum actuel se situe au plus bas, à la borne des 45 %. Viser la borne supérieure de 50 % nous permettrait de l’augmenter à 12,06 $.

Depuis des décennies, les associations de défense des droits des travailleuses et travailleurs non syndiqués, les groupes féministes et les groupes de lutte contre la pauvreté ont soutenu un principe simple : une travailleuse qui occupe un emploi au salaire minimum à temps plein ne devrait pas être pauvre. Suivant ce principe, le salaire minimum actuel devrait être fixé à 13,52 $ ou 14,95 $, selon le seuil de pauvreté utilisé.

Depuis deux ans, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) applique la notion de salaire viable aux différentes régions du Québec. Ce concept remonte au 19e siècle et fait référence à un salaire qui permet d’accéder à un « panier de consommation » de base dont on évalue le prix à partir des données réelles.

La mesure du salaire viable prend aussi en compte l’impôt versé et les allocations gouvernementales reçues. Le niveau du salaire viable varie grandement entre les différentes municipalités – la disponibilité d’un service de transport en commun efficace et le coût du logement étant les principaux facteurs de variabilité – alors que sa moyenne pondérée se situe, pour 2016, à 15,10 $ l’heure.

Un salaire minimum « juste » selon les différentes méthodes d’évaluation

 Méthode Indicateur Comparatif Salaire minimum Déficit actuel
Ministère du Travail Salaire moyen 24,06 $/h 12,03 $/h –1,28 $
La sortie de pauvreté Seuil de faible revenu de Statistique Canada 24 600 $/an 13,52 $/h –2,77 $
Mesure de faible revenu internationale (60 % du revenu médian) 27 215 $/an 14,95 $/h –4,20 $
Salaire viable Panier de consommation de base 15,10 $/h –4,35 $

Répercussions économiques d’une hausse du salaire minimum… des mythes à déboulonner

Le salaire minimum va tuer les emplois

L’argument le plus souvent avancé par les opposants à une hausse du salaire minimum (Conseil du patronat et autres), c’est qu’elle provoquerait des pertes d’emplois chez les jeunes et les travailleuses et travailleurs non qualifiés. Pourtant, la littérature scientifique et les faits sont loin de leur donner raison.

En 2011, l’ISQ a analysé l’effet des hausses marquées du salaire minimum entre 2005 et 2010 (+24 %) sur l’emploi des bas salariées et salariés et l’a comparé avec celui de la période précédente (2000-2005) où le salaire minimum a crû beaucoup moins (+9 %). L’ISQ a constaté que l’emploi au salaire minimum s’est beaucoup mieux porté dans la seconde période (+57 %) que dans la première (-6 %). Autre fait intéressant constaté par l’ISQ, c’est que la croissance significative du salaire minimum entre 2005 et 2010 « n’a pas eu pour conséquence une baisse du nombre d’emplois rémunérés au-delà de ce taux ». (INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC (2011). Hausse du salaire minimum au Québec et évolution de l’emploi : que disent les données statistiques? (avril), p. 3.)

Un autre cas éclairant nous provient de la Colombie-Britannique. En 2011, cette province canadienne a haussé son salaire minimum de 28 % sur une période d’un an (de 8 $ à 10,25 $). L’Institut Fraser, un institut de recherche associé au lobby patronal, avait prédit une catastrophe sur le plan de l’emploi des 15-24 ans, soit la perte de 26 000 à 52 000 emplois dans ce groupe d’âge. Or, entre 2010 et 2013, le nombre d’emplois de ce groupe n’a en fait diminué que de 3 800, bien loin de la prévision de l’Institut, et s’est rétabli en 2014, si bien que le taux d’emploi des 15‑24 ans était le même en 2015 qu’en 2010. (HURTEAU, Philippe, et Minh NGUYEN (2016). Les conditions d’un salaire viable au Québec en 2016?, Institut de recherche et d’informations socio-économiques, p. 7 et GREEN, David (2015). The Case for Increasing the Minimum Wage, Centre canadien de politiques alternatives (avril), p. 4.) Ces exemples montrent bien que le discours des représentantes et représentants des entreprises à propos de l’effet des hausses du salaire minimum sur l’emploi s’explique plus par les intérêts qu’ils défendent que par les faits.

L’augmentation sera annulée par une hausse des prix

Pour la consommatrice ou le consommateur, il est normal de craindre qu’une augmentation importante du salaire minimum se répercute directement sur les prix. Si un effet est prévisible, sa hauteur dépend de plusieurs facteurs, notamment :

  • la part des coûts de main-d’œuvre dans le prix ;
  • la part des employées et employés qui sont à bas salaires ;
  • la réduction des coûts d’embauche et de formation ;
  • l’augmentation ou la diminution des ventes.

Ainsi, les propriétaires de commerce de détail dont un peu plus de la moitié de leur personnel est à bas salaires et dont les coûts de la main-d’œuvre avoisinent 15 % souhaiteront augmenter leurs prix autour de 3 %. Du côté de la restauration, l’estimation se situe autour de 5 % (61 % de bas-salariées et salariés et 21 % de coûts de main-d’œuvre). Ainsi, pour assurer une augmentation de salaire de près de 40 % à bon nombre de travailleuses et travailleurs de restaurant, la clientèle devra peut-être ajouter 50 cents de plus pour un repas qui coûte actuellement 10 $.

Pour préserver la compétitivité de nos entreprises, mieux vaudrait réduire les impôts et augmenter les transferts

Conscientes de l’insuffisance du salaire minimum pour vivre décemment, les associations patronales préfèreraient que les aides gouvernementales aux bas salariées et salariés soient augmentées (exemption d’impôt, prime au travail ou crédit de solidarité). Bien que ces mesures versées directement aux employées et employés aient un effet concret sur la réduction de leur pauvreté, elles représentent des subventions indirectes pour les entreprises à bas salaires.

Pour une personne travaillant à temps plein au salaire minimum, le passage de 10,75 $ à 15 $ l’heure vient réduire son besoin de soutien de l’État de près de 1000 $ par année. Sans compter qu’elle commencera à verser des impôts. C’est donc plusieurs centaines de millions de dollars d’économie que les gouvernements pourraient investir dans des programmes de reclassement et de formation de la main-d’œuvre.

Il faudra par contre réviser la fiscalité afin que la réduction des crédits et l’entrée dans la table d’imposition ne viennent pas réduire de manière trop importante les gains supplémentaires liés à l’augmentation du salaire.

Vers une campagne québécoise sur le salaire minimum

Sous le thème de « 5 – 10 – 15 ! », la campagne amorcée par le Front de défense des non-syndiquéEs et le Collectif pour un Québec sans pauvreté sera à l’image des campagnes canadiennes et étatsuniennes qui associent à la demande d’un salaire minimum de 15 $ l’heure des revendications autour de la conciliation famille-travail (par exemple : l’accès à des congés de maladie payés ou le droit de connaître son horaire quelques jours à l’avance).