LE PRIVÉ SUR LA LIGNE DE FRONT

« Sans grande surprise, les écoles privées ont été les premières à intégrer les tablettes, tableaux numériques interactifs et autres nouveautés dans leur approche pédagogique pour séduire les parents. Tel est, du moins, le constat de notre fédération. C'est au cours d'un atelier, tenu lors d'une instance, que sont majoritairement ressortis les irritants liés à l'implantation de ces nouvelles technologies en classe », explique Stéphane Lapointe1.

À la suite de ces constats, sa fédération a mené une large étude, en collaboration avec le chercheur Thierry Karsenti2 et la CSQ, afin de comprendre précisément ce qui suscitait des difficultés. « Est-ce que le personnel est réfractaire aux nouvelles technologies ou est-ce l'implantation de ces dernières qui pose problème? », poursuit-il.

Les conditions doivent être au rendez-vous...

Selon ces travaux, plus de 95 % du personnel de l'enseignement privé sondé est favorable à l'utilisation des outils numériques en classe. Cependant, le succès de l'aventure repose, selon eux, sur certains critères : impliquer le personnel en amont et lui accorder le temps, la formation et les ressources nécessaires pour qu'il s'approprie ces outils, dans le respect de son autonomie professionnelle et des caractéristiques de chaque classe.

Stéphane Lapointe

« Là où le bât blesse, c'est lorsque les directions tentent d'imposer les outils dans une logique de solution unique, dans l'urgence et sans tenir compte des particularités de l'enseignement de chacun. On a parfois l'impression que l'attrait de la nouveauté est plus fort que le souci pédagogique. Si l'objectif en est un de mise en marché de l'école plutôt que d'amélioration de la réussite éducative, c'est là qu'on décroche », précise-t-il.

Par ailleurs, le manque de planification dans l'implantation des outils numériques, tout comme le manque de formation adéquate, figure au sommet du palmarès des irritants des enseignantes et enseignants.

« Dans certains cas, on implante les outils et on fait reposer la responsabilité de la formation sur les épaules du personnel, sans lui accorder le temps nécessaire. Cela s'ajoute donc à la charge de travail régulière, et ça finit par être fait tout croche. Personne n'en sort gagnant, ni le personnel ni les élèves », poursuit Stéphane Lapointe.

Du même souffle, il ajoute : « L'humain doit être au cœur de la réflexion des écoles quand vient le temps d'implanter de nouvelles technologies. Si l'on fait les choses correctement et qu'on les implante dans un continuum pédagogique cohérent, ces outils peuvent être un plus pour la réussite des élèves. »

Vers une stratégie numérique en éducation

L'annonce d'un plan d'action sur le numérique en éducation par le ministre Sébastien Proulx, en mars dernier, interpelle également le personnel de l'éducation du secteur public.

Bien que ces outils puissent contribuer à l'apprentissage des élèves, il ne faut pas les voir comme une solution magique. Qui plus est, dans une optique de cohérence pédagogique, le plan d'action sur le numérique doit comprendre un volet critique.

La technologie n’est qu’un outil. Pour faire travailler les enfants ensemble et les motiver, le plus important,
c’est l’enseignant. – Bill Gates

En effet, l'école doit pouvoir éveiller les élèves, par exemple, à une meilleure analyse des contenus, notamment les fausses nouvelles, les réalités alternatives, les formes de sociabilité dans l'univers des médias sociaux, les problèmes sociaux de la cyberdépendance, la cyberintimidation, etc.

Miser sur l'audace et l'expertise du personnel

L'audace et l'expertise du personnel de l'éducation – ces femmes et ces hommes qui s'investissent quotidiennement dans la réussite des jeunes – en font un incontournable quand vient le temps de penser à l'implantation d'un tel plan d'action.

Pour éviter de répéter le fiasco des tableaux numériques interactifs, le ministre Proulx doit, en amont, travailler sérieusement cette question et collaborer avec les organisations syndicales qui représentent le personnel de l'éducation s'il souhaite que les élèves du Québec en récoltent les bénéfices.


1 Stéphane Lapointe est président de la Fédération du personnel de l’enseignement privé (FPEP-CSQ).
2 Thierry Karsenti est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les technologies de l’information et de la communication.